NFT Art, quelles sanctions en cas de contrefaçon (2/2), Club des juristes, par Vincent Varet et Xavier Près, février 2022

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Vincent Varet et Xavier Près ont décrypté pour le Club des juristes l’affaire des “MetaBirkin” opposant Hermès à l’artiste Mason Rothshild. Leur contribution a été publiée sur le blog du Club des juristes

L’article est en deux parties. La 2e partie est à lire ici ou ci-dessous.

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NFT Art, quelles sanctions en cas de contrefaçon ? (2/2)

A la suite de leur analyse quant à l’éventuelle violation des droits de propriété intellectuelle d’Hermès par la commercialisation de sacs « MetaBirkins », œuvres numériques, Vincent Varet et Xavier Près expliquent les conséquences d’une telle contrefaçon en droit français.

Que risquerait l’artiste Mason Rothschild si l’action en contrefaçon avait été engagée sous l’empire du droit français ?

La contrefaçon désigne toute violation d’un droit de propriété intellectuelle, qu’il s’agisse de droits d’auteur ou de marque. Les textes concernés sont différents, mais les sanctions similaires.

La contrefaçon est un délit sanctionné civilement et pénalement par un arsenal fourni : dommages et intérêts, peines de prison pouvant aller jusqu’à trois ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende en cas de contrefaçon de droit d’auteur, contre quatre ans et 400 000 € d’amende en cas de contrefaçon de marque. Ces peines sont portées jusqu’à sept ans d’emprisonnement et 750 000 euros d’amende lorsque le délit est commis en bande organisée ou, lorsque la contrefaçon de marque a lieu « sur un réseau de communication au public en ligne » ou porte « sur des marchandises dangereuses pour la santé, la sécurité de l’homme ou l’animal ».

D’autres sanctions sont également applicables, dont l’affichage de la décision de condamnation, sa publication dans les journaux, le retrait des objets contrefaisants des circuits commerciaux ou encore leur confiscation, leur destruction, le tout aux frais du contrefacteur et sous astreinte le cas échéant, ainsi que la cessation de toute activité contrefaisante, sous astreinte également pour mieux assurer l’efficacité de la mesure. Cette liste n’est pas exhaustive et ces sanctions sont également applicables aux personnes morales pour lesquelles se déclinent d’autres sanctions : dissolution, fermeture, provisoire ou définitive, de l’établissement, etc.

Les sanctions de Mason Rothschild pourraient donc être très lourdes et aller jusqu’à la confiscation ou la destruction des sacs « MetaBirkin » dès lors qu’ils seraient jugés comme contrefaisants. Néanmoins cette destruction ne concernerait que les fichiers numériques de ces sacs eux-mêmes, et non les NFT associés et certifiant leur « authenticité » ; en effet, ces derniers ne pourront pas être détruits, car enregistrés définitivement dans la blockchain. Faute d’être associés à un contenu numérique, les NFT devraient alors logiquement perdre toute valeur marchande, y compris en crypto-monnaie. La solution pourrait toutefois être différente avec les nouveaux procédés techniques permettant d’enregistrer le fichier numérique dans la blockchain…

Et aux Etats Unis, quelles pourraient être les sanctions en cas de contrefaçon ?

Les sanctions ordonnées par les juridictions nord-américaines risquent d’être beaucoup plus lourdes, spécialement s’agissant des dommages et intérêts, dont les montants sont en règle générale substantiellement plus élevés qu’en France. Les frais de justice, spécialement les honoraires d’avocats, y sont aussi supérieurs. Il faudra en l’occurrence attendre encore plusieurs mois avant de connaitre le montant des dommages et intérêts auxquels pourrait être condamné l’artiste Mason Rothschild. Mais l’addition risque d’être salée : Hermès rappelle au soutien de sa demande notamment qu’en 2016, le Time a qualifié le sac à main Birkin de « meilleur investissement que l’or » (« a Better Investment Than Gold ») et que le premier NFT « MetaBirkin » a été vendu en décembre 2021 pour un coût de 10 Ether, soit plus de 42 000 USD, et qu’au 6 janvier 2022, le volume total des ventes a dépassé 1,1 million de dollars.

L’artiste Mason Rothschild invoque son droit à la liberté d’expression sur le fondement du 1er amendement de la Constitution des États-Unis. Qu’en serait-il en droit français et européen ?

Lorsque la liberté d’expression est invoquée en droit français, il faut raisonner au niveau européen. En effet, cette liberté fondamentale est protégée dans l’ordre juridique de l’Union européenne par l’article 11 de la Charte des droits fondamentaux, et dans l’ordre juridique du Conseil de l’Europe par l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Les deux textes sont identiques, le premier étant inspiré du second. Néanmoins, la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) et la Cour Européenne des droits de l’homme (CEDH) ont des analyses légèrement différentes des rapports entre liberté d’expression et droit d’auteur.

Cependant, ces divergences ne devraient pas modifier la solution de notre litige virtuel.

A raisonner, d’abord, sur le fondement de la Charte et de son interprétation par la CJUE, la liberté d’expression (de Mason Rothschild) ne peut constituer une limite au droit d’auteur (d’Hermès). Selon la CJUE, en effet, la législation sur le droit d’auteur, en déterminant les exceptions à ce droit, mais aussi en le limitant dans le temps (s’agissant des droits patrimoniaux), a créé un équilibre entre liberté d’expression et droit d’auteur, qui ne saurait être remis en cause par des restrictions non prévues par le législateur européen. En revanche, la CJUE admet que les exceptions au droit d’auteur fondées sur la liberté d’expression soient interprétées conformément à leur finalité et de manière à leur conférer toute leur portée. Les exceptions au droit d’auteur fondées sur la liberté d’expression, telles que la parodie ou l’exception de citation, doivent ainsi être interprétées de manière à assurer pleinement le jeu de cette liberté. Dans le cas des « meta-Birkin », on ne voit pas quelle exception au droit d’auteur fondée sur la liberté d’expression, même interprétée extensivement, permettrait de justifier la reproduction sans autorisation de la forme du sac Birkin d’Hermès. L’argument de la liberté d’expression ne devrait ainsi être d’aucun secours à Mason Rothschild.

A raisonner, ensuite, selon la Convention européenne des droits de l’homme telle qu’interprétée par la CEDH, le résultat ne devrait pas être différent. L’éventuelle condamnation de Mason Rothschild pour contrefaçon de droit d’auteur s’analyserait indiscutablement comme une restriction à sa liberté d’expression et la CEDH vérifierait alors si cette restriction prévue par la loi et qui poursuit un but légitime (la protection du droit d’auteur), est proportionnée à ce but.  Dans l’affirmative, cette restriction à la liberté d’expression (de Mason Rothschild) serait considérée comme justifiée, sur le fondement de l’article 10.2 de la Convention. L’appréciation de cette proportionnalité serait alors menée in concreto, au regard de l’ensemble des circonstances de l’espèce.

Au regard de critères élaborés par la CEDH pour opérer la balance des intérêts entre liberté d’expression et droit d’auteur, il est probable que la Cour de Strasbourg jugerait que la condamnation pour contrefaçon de droit d’auteur commise par Mason Rothschild n’est pas disproportionnée par rapport au but légitime de protection du droit d’auteur qu’elle poursuit. La CEDH pourrait notamment tenir compte du caractère commercial de la démarche de Mason Rothschild, par opposition à un discours politique ou une démarche d’intérêt général. Cette condamnation serait ainsi considérée comme nécessaire à la préservation de l’objet spécifique ou de la fonction essentielle du droit d’auteur et constituerait une restriction justifiée à la liberté d’expression.

Quoiqu’il n’en n’existe pas d’exemple, le raisonnement en droit des marques ne devrait pas être très différent : on imagine mal, au vu des textes et de leur interprétation par les deux Cours européennes, que ces dernières admettent la mise à l’écart du jeu « normal » du droit des marques sur le fondement de la liberté d’expression.

Les NFT et les metavers ne sont donc pas un nouveau far-west échappant au droit : dans le monde virtuel comme dans le monde réel, il n’est pas de liberté sans limites, constituées notamment par les droits d’autrui – principe de base de la vie en société. « Art is art », a écrit Mason Rothschild sur les réseaux sociaux. Il n’est pas certain que cette déclaration performative suffise à lui éviter une condamnation…

 

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