NEW ! Lettre d’information Mars 2024

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Au sommaire :

  1. IA & RÈGLEMENT DE L’UNION EUROPÉENNE : Vote par le Parlement européen, le 13 mars 2024, après l’adoption le 2 février 2024 à l’unanimité des 27 États membres de l’UE, de la proposition de règlement sur l’intelligence artificielle (IA) dont la dernière version a été divulguée le 21 janvier 2024 (Règlement UE sur l’intelligence artificielle, vote du Parlement européen du 13 mars 2024).
  2. MARQUE & GARANTIE D’ÉVICTION : Pour la première fois, la Cour de cassation ajoute une exception à la règle selon laquelle celui qui doit garantie ne peut évincer, « lorsque l’action en déchéance pour déceptivité acquise d’une marque est fondée sur la survenance de faits fautifs postérieurs à la cession et imputables au cessionnaire » (Cour de cassation, com., 28 février 2024, n° 22-23.833).
  3. MARQUE & USAGE DANS LA VIE DES AFFAIRES : Rappel par la Cour de cassation des contours du critère de l’utilisation dans la vie des affaires concernant la contrefaçon de marque. Ainsi, la situation du contrefacteur présumé est indifférente lorsque l’utilisation de la marque n’est pas intrinsèquement économique, comme en l’espèce (Cour de cassation, crim., 27 février 2024, n°23-81.563).
  4. MUSIQUE, CINÉMA & DROIT D’AUTEUR : Outre le rappel d’une solution bien connue depuis la jurisprudence « Perrier » selon laquelle le formalisme des cessions de droits d’auteur n’est applicable qu’aux seuls contrats conclus par l’auteur lui-même, la Cour de cassation précise que la synchronisation d’une chanson dans un film ne constitue pas en soi une atteinte au droit moral de l’auteur et des artistes-interprètes (Cour de cassation, 1e, 28 février 2024, n° 22-18.120).
  5. DSA & NOUVELLES OBLIGATIONS DES PLATEFORMES EN LIGNE : Le Règlement relatif à un marché unique des Services Numériques ou « RSN », plus connu sous son acronyme anglo-saxon « DSA » (pour Digital Services Act) est entré en application pour tous les opérateurs concernés le 17 février dernier ; il crée une nouvelle catégorie d’opérateurs, les fournisseurs de « plateformes en ligne », sur lesquels pèsent de nouvelles obligations (Règlement UE du Parlement européen et du Conseil n°2022/2065 du 19 octobre 2022 relatif à un marché unique des Services Numériques).
  6. SPORT & DONNÉES PERSONNELLES : La CNIL portera en 2024 une attention toute particulière aux traitements de données personnelles opérés par les professionnels du secteur du sport (« Les contrôles de la CNIL en 2024 : données des mineurs, Jeux Olympiques, droit d’accès et tickets de caisse dématérialisés », 8 février 2024 et « La collecte de données pour la mesure de la performance physique individuelle des sportifs de haut niveau ou professionnels », 20 février 2024).
  7. SPORT & PROPRIÉTÉS OLYMPIQUES : Le 8 mars 2024 s’est tenu le colloque organisé notamment par la Cour de cassation sur les « Propriétés olympiques », dont les actes seront bientôt publiés aux éditions Dalloz (Colloque Cour de cassation, « Les propriétés olympiques », 8 mars 2024).

En savoir plus :

  1. IA & RÈGLEMENT DE L’UNION EUROPÉENNE : Vote par le Parlement européen, le 13 mars 2024, après l’adoption le 2 février 2024 à l’unanimité des 27 États membres de l’UE, de la proposition de règlement sur l’intelligence artificielle (IA) dont la dernière version a été divulguée le 21 janvier 2024 (Règlement UE sur l’intelligence artificielle, vote du Parlement européen du 13 mars 2024).

Ça y est, c’est fait : la proposition de Règlement de l’Union Européenne (UE) sur l’intelligence artificielle (IA) a été votée le 13 mars 2024 par le Parlement européen après son adoption le 2 févier 2024 à l’unanimité par les 27 États membres de l’UE. La version communiquée au public la plus récente date du 21 janvier 2024 et comporte des modifications importantes au regard des précédentes versions, notamment celles du 14 juin 2023 et du 21 avril 2021. La version finale du texte doit encore être validée en avril prochain. Le Règlement sur l’IA sera applicable 24 mois après son entrée en vigueur, soit a priori au printemps 2026. Certaines de ces dispositions seront toutefois applicables dès avant 2026 afin de permettre à chacun de prendre les mesures nécessaires à une mise en conformité progressive de ses systèmes d’IA.

Le Règlement de l’UE sur l’IA est un texte transverse. Il a vocation à s’appliquer largement, à tout opérateur de systèmes d’IA (fournisseur, déployeur, distributeur, fabricant, importateur) dont le siège social se situe dans l’UE, ou, sous certaines conditions, dans un pays tiers lorsque les systèmes d’IA sont commercialisés dans l’UE. Il a également vocation à s’appliquer tous secteurs confondus, à l’exclusion toutefois des finalités exclusivement militaires, de défense ou de sécurité nationale ou encore à des fins exclusives de recherche et de développement scientifique.

En substance, le Règlement de l’UE sur l’IA tend à favoriser l’innovation tout en protégeant la société, en procédant à une approche de régulation graduée selon les risques : les systèmes d’IA sont classés selon leur niveau de risque, les contraintes juridiques variant à proportion de ce risque. Les plus dangereux sont les systèmes d’IA considérés comme présentant un « risque inacceptable ». Ils sont par conséquent interdits. En substance, il s’agit des systèmes d’IA qui (i) utilisent des techniques permettant d’altérer le pouvoir décisionnel d’une personne (techniques subliminales par exemple), (ii) évaluent ou classent les personnes (score social) ou (iii) utilisent des systèmes d’identification biométrique à distance « en temps réel » dans des espaces accessibles au public à des fins de maintien de l’ordre, sauf cas particuliers.

Une catégorie intermédiaire vise les systèmes d’IA « à haut risque ». Il s’agit, d’une part, des systèmes d’IA qui, sous certaines conditions, sont utilisés en lien avec un produit relevant de la législation de l’UE sur la sécurité des produits selon une liste définie en annexe 2 (près d’une vingtaine de règlements et de directives de l’UE sont ainsi concernés, pour des produits aussi divers que notamment les jouets, les ascenseurs, les équipements radio électriques, les équipements sous pression ou de protection individuelle, les câbles, les dispositifs médicaux, le transport). Il s’agit, d’autre part, des systèmes d’IA relevant des 8 domaines suivants : (i) les données biométriques, (ii) les infrastructures critiques, (iii) l’éduction et la formation professionnelle, (iii) l’emploi, la gestion des travailleurs et l’accès à l’emploi indépendant, (v) l’accès et la jouissance des services privés essentiels et des services et prestations publics essentiels, (vi) les services répressifs, dans la mesure où leur utilisation est autorisée par le droit de l’Union ou le droit national applicable, (vii) la gestion des migrations, de l’asile et des contrôles aux frontières et (viii) l’administration de la justice et des processus démocratiques. Ces contraintes sont multiples et portent notamment sur le respect de normes harmonisées, de déclaration de conformité, d’enregistrement dans une base de données de l’UE, d’un marquage de conformité, ainsi que sur la mise en place d’une documentation technique permettant notamment de s’assurer du respect des différentes contraintes applicables.

Les moins dangereux sont les systèmes d’IA présentant un « risque limité ». Il s’agit d’une catégorie résiduelle, comprenant l’ensemble des autres systèmes d’IA, qui ne sont ni interdits (risque inacceptable), ni fortement régulés (à haut risque). Sont ainsi visés les systèmes d’IA destinés à interagir directement avec des personnes physiques. Les systèmes d’IA dits à « usage général » font également l’objet d’un traitement particulier. Ces derniers sont ceux qui sont « basés sur un modèle d’IA à usage général, capables de servir à des fins diverses, tant pour une utilisation directe que pour une intégration dans d’autres systèmes d’IA ». Ils sont soumis à des obligations de transparence afin notamment de permettre aux utilisateurs d’être pleinement informés lorsqu’ils interagissent avec un système d’IA. Les contenus générés doivent encore être marqués dans un format lisible par machine et détectables comme étant générés ou manipulés artificiellement. Cette obligation de transparence concerne également le droit d’auteur en ce que les informations requises à ce titre devraient permettre d’obtenir les informations utiles concernant les contenus alimentant les IA génératives.

Le Règlement de l’UE sur l’IA oblige donc chacun, dès à présent, à se préparer.

Comment ?

Notamment en réalisant un audit de ses systèmes d’IA afin d’en évaluer les risques pour, ensuite, selon le niveau de risque identifié, mettre en place le dispositif de conformité adapté. L’élaboration d’un code ou charte de bonne conduite en matière d’IA dans chaque organisation est une première étape à considérer sérieusement. Cela présente un triple avantage : savoir si des systèmes d’IA sont déjà utilisés, encadrer leurs conditions d’utilisation et se préparer aux prochaines échéances qui vont arriver très vite.

  1. MARQUE & GARANTIE D’ÉVICTION : Pour la première fois, la Cour de cassation ajoute une exception à la règle selon laquelle celui qui doit garantie ne peut évincer, « lorsque l’action en déchéance pour déceptivité acquise d’une marque est fondée sur la survenance de faits fautifs postérieurs à la cession et imputables au cessionnaire » (Cour de cassation, com., 28 février 2024, n° 22-23.833).

Les marques entretiennent avec les noms patronymiques des relations étroites, souvent conflictuelles, ainsi que le prouve une nouvelle fois la saga judiciaire « Castelbajac ». Le litige opposait, dans cette affaire, Jean-Charles de Castelbajac à la société PMJC, à l’occasion d’une demande en déchéance pour usage déceptif des marques cédées par le premier à la seconde après le redressement judiciaire de la société de Jean-Charles de Castelbajac dirigée par le premier.

Par cet arrêt du 28 février 2024, la Cour de cassation rappelle que, selon l’article 1628 du code civil, celui que doit garantie ne peut évincer. Il n’est, par conséquent, pas recevable en une action en déchéance pour déceptivité acquise d’une marque qu’il a cédée dès lors que l’action tend à l’éviction de l’acquéreur.

Cantonnée à cette solution, la décision ne mériterait pas d’être signalée si elle n’avait ajouté, pour la première fois, une exception à la règle de recevabilité précitée, posée en ces termes : « il convient en conséquence de juger désormais qu’il est fait exception à la règle énoncée (…) lorsque l’action en déchéance pour déceptivité acquise d’une marque est fondée sur la survenance de faits fautifs postérieurs à la cession et imputables au cessionnaire ». Or en l’occurrence, les faits reprochés portaient sur l’exploitation par la société PMJC des marques cédées de façon à laisser le public croire que le cédant est l’auteur des créations sur lesquelles ces marques sont apposées. Jean-Charles de Castelbajac était donc bel et bien recevable à agir en déchéance à l’encontre de marques qu’il avait lui-même cédées à la société PMJC.

Cependant, la Cour de cassation a décidé ne pas se prononcer, à ce stade, sur le bien-fondé de cette action au fond. Elle a préféré poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) dans les termes suivants : « Les articles 12, paragraphe 2, sous b), de la directive 2008/95/CE du 22 octobre 2008 rapprochant les législations des États membres sur les marques et 20, sous b), de la directive (UE) 2015/2436 du 16 décembre 2015 rapprochant les législations des États membres sur les marques, doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent au prononcé de la déchéance d’une marque constituée du nom de famille d’un créateur en raison de son exploitation postérieure à la cession dans des conditions de nature à faire croire de manière effective au public que ce créateur participe toujours à la création des produits marqués alors que tel n’est plus le cas ? ». Réponse à suivre ; la saga « Castelbajac » est loin d’être finie… 

  1. MARQUE & USAGE DANS LA VIE DES AFFAIRES: Rappel par la Cour de cassation des contours du critère d’utilisation dans la vie des affaires concernant la contrefaçon de marque. Ainsi, la situation du contrefacteur présumé est indifférente lorsque l’utilisation de la marque n’est pas intrinsèquement économique, comme en l’espèce (Cour de cassation, crim., 27 février 2024, n°23-81.563).

En l’espèce, un texte avait été affiché sur un panneau publicitaire privé, sur lequel était reproduit la mention « Les syndicats de police & BFM vous souhaitent un bon enfumage 2019 ». Par ailleurs, la photographie de cette affiche avait été publiée à deux reprises sur la page Facebook du particulier propriétaire du panneau.

Après avoir constaté que l’affiche ainsi que les publications Facebook reproduisaient, sans autorisation, la marque <BFM> dont elle était titulaire, BFM TV a déposé plainte sur le fondement du délit d’usage et de reproduction de marque.

Le juge d’instruction chargé de l’affaire a par la suite rendu une ordonnance de non-lieu concernant cette plainte. La partie civile a alors relevé appel de cette décision, appel rejeté par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence.

Ainsi, l’enjeu pour la Cour de cassation statuant sur cette ordonnance de non-lieu était donc de savoir si l’affiche litigieuse avait fait l’objet d’un usage dans la vie des affaires, sur le fondement de l’article L716-10 du Code de la propriété intellectuelle, qui dispose en substance que la reproduction, l’utilisation, entre autres, d’une marque enregistrée sans autorisation de son titulaire est sanctionnée pénalement.

Citant l’arrêt rendu par la Cour d’appel, les juges rappellent dans la décision rapportée que ces dispositions devaient être interprétées à la lumière de la jurisprudence européenne en la matière, et notamment la décision socle de la CJUE rendue le 12 novembre 2002 dans l’affaire C-206/01, Arsenal Football Club. De ce fait, pour identifier la présence ou l’absence d’un usage dans la vie des affaires, les juges doivent vérifier si l’élément litigieux s’inscrit dans le domaine économique et vise à l’obtention d’un avantage direct ou indirect de nature économique.

La Cour s’est livrée à une analyse in concreto de la situation, et a relevé qu’au cours du mois de décembre 2018, l’affiche litigieuse n’avait été apposée que sur « un seul panneau publicitaire qui est la propriété personnelle de M. [X] » et n’avait fait l’objet que de « deux publications sur la page Facebook de ce dernier ».

Elle en conclut que l’affiche litigieuse n’a été « diffusée que de façon restreinte et pour un temps donné, présente un caractère satirique, ne contient aucune proposition de produit, ne s’inscrit dans aucune activité économique et ne procède d’aucune opération commerciale ».

Reprenant par ailleurs l’argument du demandeur selon lequel l’affiche aurait fait l’objet d’un usage dans la vie des affaires, la Cour rappelle toutefois que si M. [X] était bien inscrit au répertoire SIRENE pour une activité d’agence de publicité, « l’affiche litigieuse elle-même ne relève pas de la vie des affaires, en ce qu’elle ne s’inscrit en rien dans le domaine économique ni ne vise à l’obtention d’un avantage direct ou indirect de nature économique ».

Par conséquent, la Cour retient que l’affiche litigieuse n’a pas fait l’objet d’un usage dans la vie des affaires et approuve l’arrêt d’appel ayant confirmé l’ordonnance de non-lieu, écartant donc le délit d’usage et de reproduction de marque.

  1. MUSIQUE, CINÉMA & DROIT D’AUTEUR : Outre le rappel d’une solution bien connue depuis la jurisprudence « Perrier » selon laquelle le formalisme des cessions de droits d’auteur n’est applicable qu’aux seuls contrats conclus par l’auteur lui-même, la Cour de cassation vient préciser que la synchronisation d’une chanson dans un film ne constitue pas en soi une atteinte au droit moral de l’auteur et des artistes-interprètes (Cour de cassation, 1e, 28 février 2024, n° 22-18.120).

Le litige opposait les auteurs et artistes-interprètes du tube des années 80 « Partenaire particulier », la société productrice du phonogramme et l’éditrice de la chanson à une société et à un producteur du film « Alibi.com » pour avoir repris, sans leur autorisation, deux extraits de cette chanson dans la bande sonore de ce film.

Par cet arrêt, la Cour de cassation rappelle une solution édictée dans son arrêt « Perrier » et désormais bien établie, selon laquelle le formalisme exigé par les articles L. 131-2 et 131-3 du code de la propriété intellectuelle n’est applicable qu’aux cessions conclues par l’auteur lui-même et non aux sous-cessions conclues entre sous-exploitants (1e Civ. 13 octobre 1993, « Perrier »). La règle est rappelée dans les termes suivants par l’arrêt commenté : « Dès lors que ces dispositions régissent les seuls contrats consentis par l’auteur dans l’exercice de son droit d’exploitation et non ceux que peuvent conclure les cessionnaires avec des sous-exploitants, elles sont inapplicables aux rapports de la société Chris Music, cessionnaire du droit d’exploitation, avec la société Musiques & Solutions ». Or en l’occurrence, il résultait des faits analysés par la Cour d’appel que l’autorisation, bien que n’ayant pas fait l’objet d’un contrat signé par le cocontractant des auteurs et des artistes-interprètes, avait bel et bien été donnée aux sous-exploitants avant la distribution du film en salles.

La décision présente un autre intérêt, sur le terrain du droit moral cette fois. Il s’agissait en l’occurrence de déterminer si l’utilisation, sans autorisation spéciale et préalable des auteurs et des artistes interprètes, d’extraits d’une chanson dans une œuvre audiovisuelle porte en elle-même atteinte au droit moral de l’auteur et des artistes interprètes ou si, à l’inverse, la synchronisation, qui se fait nécessairement sous forme d’extraits, ne saurait être regardée par principe comme réalisant une atteinte à l’intégrité de l’œuvre.

La Cour de cassation confirme, à la suite de l’arrêt déféré de la Cour d’appel, la 2e solution en observant que : « après avoir retenu que la société Chris Music avait consenti à l’utilisation d’extraits de la chanson, la cour d’appel a énoncé à bon droit que l’utilisation d’une œuvre musicale par synchronisation dans la bande sonore d’une œuvre audiovisuelle, se faisant nécessairement sous la forme d’extraits, ne saurait être regardée par principe comme réalisant une atteinte à l’intégrité de l’œuvre  et au droit moral de l’auteur ou de l’artiste-interprète protégés par les articles L. 121- 1 et L. 212-2 du code de la propriété intellectuelle, et qu’il incombe à celui qui invoque une telle atteinte d’en justifier ».

  1. DSA & NOUVELLES OBLIGATIONS DES PLATEFORMES EN LIGNE : Le Règlement relatif à un marché unique des Services Numériques ou « RSN », plus connu sous son acronyme anglo-saxon « DSA » (pour Digital Services Act) est entré en application pour tous les opérateurs concernés le 17 février dernier ; il crée une nouvelle catégorie d’opérateurs, les fournisseurs de « plateformes en ligne », sur lesquels pèsent de nouvelles obligations (Règlement UE du Parlement européen et du Conseil n°2022/2065 du 19 octobre 2022 relatif à un marché unique des Services Numériques).

Partant du constat que le régime des prestataires intermédiaires organisé par la Directive du 8 juin 2000 sur le commerce électronique ne suffisait plus à assurer le premier niveau de régulation de l’internet visant à lutter contre les contenus illicites, du fait de l’avènement, il y a une vingt ans, du Web 2, et, aujourd’hui, de celui du Web 3, le Règlement pour les services numériques a créé une nouvelle catégorie d’opérateurs, les « plateformes en ligne ».

Celles-ci sont définies simplement par l’article 3 sous i) du Règlement comme « un service d’hébergement qui, à la demande d’un destinataire du service, stocke et diffuse des informations (…) » (suivent des exceptions visant en substance les cas où un tel service n’est qu’accessoire à un service principal dont la finalité est autre).

Les plateformes en ligne sont donc une catégorie particulière de fournisseurs d’hébergement ; à ce titre, elles sont tenues des obligations incombant à ces derniers. Mais, dans la mesure où elles contribuent à la diffusion de contenus en ligne, au-delà de leur simple stockage, le Règlement leur impose également des obligations complémentaires.

L’idée sous-jacente du texte est de ne pas remettre en cause la jurisprudence de la Cour de Justice de l’UE depuis 2010 (commencée avec les arrêts Google c/ Louis Vuitton Maletier et autres du 23 mars 2010), qui a appliqué la qualification d’hébergeur à tous les grands opérateurs du Web 2 ou presque, tout en imposant à ces « plateformes » des obligations supplémentaires visant à mieux lutter contre les contenus illicites.

Ces règles sont aujourd’hui applicables à tout site web ou application qui permet, à titre principal, à ses utilisateurs de mettre en ligne des contenus (sites d’intermédiation de toutes natures, sites de partages de contenus divers, etc.).

Outre les obligations s’imposant à tout hébergeur, les opérateurs de plateformes en ligne sont tenus des principales obligations suivantes, propres à cette nouvelle qualification :

  • Mettre en place de systèmes internes de traitement des réclamations des utilisateurs à l’égard des décisions prises par eux à l’égard des contenus illicites ou non conformes à leurs conditions générales ;
  • Mettre en place des procédures extrajudiciaires de règlement des litiges et informer les utilisateurs de leur existence ;
  • Adopter des mesures techniques et organisationnelles pour traiter de façon prioritaire et rapide les notifications des signaleurs de confiance (statut créé par le RSN) ;
  • Mettre en place des mesures de lutte contre les utilisations abusives de leur service ;
  • Publier un rapport annuel de transparence décrivant les activités de modération mises en œuvre ;
  • Ne pas concevoir, organiser ou exploiter leurs interfaces en ligne de nature à tromper ou manipuler les utilisateurs du service ;
  • Informer ces utilisateurs sur les paramètres de leurs systèmes de recommandation ;
  • Et, dans le cas où la plateforme permet la conclusion de contrats à distance entre utilisateurs et professionnels :
    • Assurer la traçabilité des professionnels en recueillant auprès d’eux les informations idoines et en les vérifiant ; l’interface doit être conçue et organisée pour permettre à ces derniers de respecter leurs obligations en matière d’informations précontractuelles, de conformité et de sécurité des produits ;
    • Faire leurs meilleurs efforts pour vérifier aléatoirement, après mise en ligne, la licéité des produits ou services proposés ;
    • Informer les utilisateurs sur les produits ou services illégaux proposés via la plateforme.

Au-delà des principaux réseaux sociaux et moteurs de recherche, de nombreux opérateurs en ligne sont concernés. Dans la mesure où le texte est applicable depuis le 17 février 2024, c’est-à-dire depuis un mois, il est grand temps, si ce n’est déjà fait, qu’ils se préoccupent de leur conformité.

  1. SPORT & DONNÉES PERSONNELLES : La CNIL portera en 2024 une attention toute particulière aux traitements de données personnelles opérés par les professionnels du secteur du sport (Communiqués de la CNIL « Les contrôles de la CNIL en 2024 : données des mineurs, Jeux Olympiques, droit d’accès et tickets de caisse dématérialisés »,8 février 2024 et « La collecte de données pour la mesure de la performance physique individuelle des sportifs de haut niveau ou professionnels »,20 février 2024)

Chaque année, la CNIL conduit des contrôles, soit à la suite d’une plainte ou d’un signalement de violations de données, soit de sa propre initiative en lien avec l’actualité ou au regard des thématiques prioritaires qu’elle a définies. Ainsi, en 2024, 30% en moyenne des contrôles qui seront opérés à l’initiative de la CNIL auront pour objet de vérifier la conformité au RGPD (i) du traitement des données des mineurs collectées en ligne, notamment sur les applications et sites les plus prisés par ces derniers, (ii) du traitement des données pour les programmes commerciaux de fidélité et l’envoi des tickets de caisse dématérialisés ainsi que (iii) des conditions de mise en œuvre du droit d’accès prévu par le RGPD.

L’attention de la CNIL portera également sur la collecte des données à l’occasion des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024, dans le cadre notamment des services de billetterie et des dispositifs de sécurité qui seront déployés. Le secteur du sport apparaît d’autant plus au cœur des préoccupations de la CNIL que celle-ci a récemment rappelé les règles à respecter en matière de collecte de données pour la mesure de la performance physique individuelle des sportifs de haut niveau ou professionnels.

Outre le rappel des règles applicables à tout traitement de données personnelles, elle souligne que la collecte d’informations concernant la santé des sportifs (telles que la fréquence cardiaque, le poids, les résultats de tests sanguins, etc.) est en principe interdite, sous réserve des cas limitatifs pour lesquels le RGPD autorise une telle collecte. Or, a priori, seul l’intérêt public pourra fonder une telle autorisation et non le consentement du sportif à la collecte. En effet, il est très probable que ce consentement ne soit pas libre dès lors qu’en cas de refus, le joueur pourrait être écarté de l’évènement sportif par son entraîneur.

  1. SPORT & PROPRIÉTÉS OLYMPIQUES : Le 8 mars 2024 s’est tenu le colloque organisé notamment par la Cour de cassation sur les « Propriétés olympiques », dont les actes seront bientôt publiés aux éditions Dalloz (Colloque Cour de cassation, « Les propriétés olympiques », 8 mars 2024).

Le Centre de droit et d’économie du sport de Limoges (CDES) et le Comité national olympique et sportif français (CNOSF), en partenariat avec la Cour de cassation et le Conseil d’État ont organisé le 8 mars 2024 un colloque sur « Les propriétés olympiques ». Il était organisé sous la coordination scientifique de Jean Pierre Karaquillo, Skander Karaa et Charles Dudognon.

Ce colloque a été notamment l’occasion d’un tour d’horizon complet du régime caractérisant la protection et l’exploitation des propriétés olympiques, en France ou à l’international.

Notre associé Rhadamès Killy est intervenu avec M. le Professeur Jacques de Werra sur une « Approche de droit comparé des propriétés olympiques ».

Le colloque Les vidéos du colloque sont consultables sur le site internet de la Cour de cassation. Les actes du colloque seront publiés aux éditions Dalloz dans les tout prochains jours.

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RESPONSABLE DE TRAITEMENT DE DONNÉES PERSONNELLES & SANCTIONS ADMINISTRATIVES

La Cour de Justice de l’Union Européenne a rendu, le 5 décembre 2023, en grande chambre, deux arrêts importants précisant les qualifications de responsable et de co-responsables de traitement de données personnelles, et les conditions auxquelles ceux-ci peuvent se voir condamnés à une amende administrative à raison d’une violation du RGPD (CJUE, 5 décembre 2023, Affaires C 683/21 et C 807/21).

Ces deux arrêts de la CJUE, rendus en Grande Chambre, signe de leur importance, précisent les qualifications de responsable et de co-responsable d’un traitement de données personnelles au sens du RGPD ; surtout, ils décident que seule une violation fautive d’une disposition du RGPD justifie le prononcé, par les autorités de contrôle nationales, d’une amende administrative en vertu de l’article 83 du RGPD.

En premier lieu, la CJUE énonce que la qualification de responsable de traitement dépend exclusivement des deux critères cumulatifs énoncés par l’article 4, paragraphe 7 du RGPD, à savoir la contribution de l’entité en cause à la détermination des finalités et des moyens du traitement ; il est, notamment, indifférent que cette entité traite les données personnelles elle-même ou que, au contraire, le traitement soit matériellement mis en œuvre par un tiers. C’est dire qu’une entité qui choisit de déléguer toutes ses opérations de traitement de données à une entité tierce, ne saurait échapper à la qualification de responsable de traitement et au régime afférent, dès lors qu’elle est effectivement intervenue, à des fins qui lui sont propres, dans la détermination des finalités et des moyens de ce traitement.

Dans la même logique, la CJUE confirme ensuite que sont co-responsables de traitement au sens de l’article 26 paragraphe 1 du RGPD, deux entités qui participent ensemble à la détermination des finalités et moyens d’un traitement de données personnelles, même si chacune intervient à des niveaux et degrés différents. Tout autre critère est indifférent ; en particulier, il n’est pas nécessaire qu’il existe, au stade de la qualification, un accord écrit entre les deux entités, un tel accord s’imposant, en vertu du même texte, non pas comme critère de la qualification de responsable conjoint, mais comme une conséquence de celle-ci.

Une fois l’entité qualifiée de responsable de traitement, qu’il s’agisse d’une responsabilité conjointe ou non, celle-ci encourt le risque d’une amende administrative lorsque les conditions de l’article 83 du RGPD sont remplies. Toutefois, et tel est l’apport principal des arrêts rapportés, la CJUE juge expressément qu’une telle amende administrative ne peut pas être prononcée en absence de comportement fautif du responsable de traitement, c’est-à-dire en l’absence d’une violation (visée aux paragraphes 4 à 6 de l’article 83 du RGPD) commise « délibérément ou par négligence » par ce responsable de traitement.

La Cour précise qu’une telle violation s’entend, par analogie avec ses décisions Schenker&Co et Lundbeck/Commission du 25 Mars 2021, de l’hypothèse où le responsable de traitement ne pouvait ignorer le « caractère infractionnel » de son comportement, « qu’il ait eu ou non conscience » d’enfreindre les dispositions du Règlement ; elle ajoute encore que, dans le cas où l’entité est une personne morale, une action ou même une « connaissance » de son organe de gestion n’est pas nécessaire.

Si l’exigence d’une faute, délibérée ou de négligence, est conforme à la lettre de l’article 83 paragraphe 2 du RGPD, la définition de cette faute que retient la CJUE laisse perplexe, tant on a du mal à comprendre qu’un responsable de traitement ne puisse ignorer le « caractère infractionnel » de son comportement tout en n’ayant pas conscience qu’il enfreint le RGPD…

Autrement dit, le simple constat d’une violation matérielle d’une règle du RGPD ne suffit à l’imposition d’une amende administrative sur le fondement de l’article 83 du RGPD, mais la faute nécessaire à cette sanction pourrait résulter d’une violation commise à « l’insu du plein gré » du responsable de traitement…

Enfin, et la solution est plus orthodoxe, la Cour confirme que le responsable de traitement encourt une telle sanction au titre des actes commis pour son compte par le sous-traitant, sauf si ce dernier a effectué le traitement en cause pour des finalités qui lui sont propres, ou si ledit traitement est opéré par lui selon des modalités incompatibles avec les instructions données par le responsable de traitement, ou encore s’il ne peut être raisonnablement considéré que le responsable de traitement aurait consenti à un tel traitement illicite.

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MARQUES & RÉFÉRENCEMENT EN LIGNE

La Cour de cassation applique au référencement naturel, consistant en l’occurrence à insérer la marque d’un concurrent dans le code source de son site Web, la solution de la Cour de Justice relative à l’achat d’un signe à titre de mot-clé dans le cadre d’un référencement commercial (Cour de cassation, 1e 18 octobre 2023, n° 20-20.055, FS-B).

Dites-le avec des fleurs ! Les fleuristes en ligne, qui se livrent manifestement une concurrence acharnée, contribuent de manière significative à la jurisprudence relative à l’usage de la marque d’un concurrent pour référencer un site web marchand : après Interflora, dont l’action avait donné lieu à l’important arrêt de la Cour de Justice du 22 septembre 2011, c’est la société Aquarelle, exploitante du site éponyme, qui est à l’origine de l’arrêt rapporté.

Elle reprochait à un concurrent d’avoir notamment réussi à faire classer son site web marchand parmi les premiers résultats de recherche naturels sur google.fr, en insérant dans le code source dudit site le terme « Aquarelle », sur le fondement du droit des marques. La société Aquarelle soutenait ainsi que cet usage portait atteinte à ses marques verbales éponymes enregistrées dans l’UE et en France.

Les juges du fond l’avaient déboutée de cette demande, au motif que le mot-clé inséré dans le code source n’étant pas visible du public, il ne désignait pas des produits ou des services, en sorte qu’il ne s’agissait pas d’un usage à titre de marque.

La Cour de cassation juge ce motif erroné ; pour elle, l’insertion d’un signe à titre de mot-clé dans le code source d’un site web proposant à la vente des produits ou des services constitue un usage à titre de marque, susceptible d’être contrefaisant si les conditions de la contrefaçon sont par ailleurs réunies.

Ceci posé, la Haute juridiction sauve l’arrêt d’appel, en relevant qu’il avait constaté que l’internaute moyen était suffisamment informé quant à la provenance du site du concurrent ainsi référencé. Elle reprend expressément, pour fonder cette solution, la règle énoncée par la Cour de Justice à propos du référencement promotionnel ou payant (CJUE, Gde Ch., 13 mars 2010, Google c/ Louis Vuitton et alii., Aff. C-327/08 et a. ; 22 septembre 2011, Interflora c/ Mark & Spencer et alii, Aff. C-323/09, qui confirme la solution et l’adapte aux marques renommées), selon laquelle l’achat à titre de mot-clé, dans le cadre d’un référencement payant, d’un signe protégé à titre de marque, peut constituer une contrefaçon de cette marque si l’annonce en résultant ne permet pas, ou permet seulement difficilement à l’internaute moyen de savoir si le produits ou services visés par cette annonce proviennent du titulaire de la marque ou d’une entreprise économiquement liée à ce dernier (en ce cas, en effet, il est porté atteinte à la fonction essentielle de garantie d’origine de la marque).

La Cour de cassation adapte simplement la formule de la Cour de justice, en remplaçant le terme « annonce » par ceux de « référencement naturel ».

L’analogie est logique : dans les deux cas, le signe n’est certes pas visible de l’internaute, mais c’est lui qui a effectué une requête à partir de ce signe ; et, dans les deux cas, la pratique doit pouvoir être sanctionnée cet internaute est susceptible de confondre le site du concurrent et celui du titulaire de la marque, ce qui s’apprécie in concreto au regard des résultats de recherche, payants ou naturels.

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DROIT D’AUTEUR & PRESCRIPTION DE L’ACTION EN CONTREFAÇON

En matière de contrefaçon de droits d’auteur, la prescription quinquennale court à compter du jour où le demandeur à l’action a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer, peu important que ces faits se soient poursuivis dans le temps (Cour de cassation, 1e, 15 novembre 2023, n° 22-23.266).

« Aux termes de l’article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. C’est à bon droit que, après avoir énoncé que la prescription des actions civiles en contrefaçon de droit d’auteur est soumise à ces dispositions, la cour d’appel a retenu que, le délai de prescription ayant commencé à courir le 17 décembre 2008, date à laquelle avait été admis le caractère contrefaisant de l’œuvre exposée, l’action intentée le 5 mars 2021 était prescrite, même si la contrefaçon s’inscrivait dans la durée ». C’est ce que vient de juger la Cour de cassation par arrêt du 15 novembre 2023 (Cour de cassation, 15 novembre 2023, n° 22-23.266).

En matière de contrefaçon de droits d’auteur, la prescription quinquennale court ainsi à compter du jour où le demandeur à l’action a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer, peu important que ces faits se soient poursuivis dans le temps. La solution n’est pas nouvelle ; elle est issue de la loi PACTE n°2019-486, entrée en vigueur le 24 mai 2019. Elle a encore été récemment rappelée par la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 17 mai 2023 (Cour d’appel de Paris, Pôle 5 chambre 1, 17 mai 2023, RG n° 21/15795).

La constatation de la poursuite des agissements contrefaisants ne constitue donc plus un motif valable pour différer la prise de décision nécessaire à la cessation des agissements contrefaisants et à l’obtention de mesures réparatrices.

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LUXE & CONCURRENCE PARASITAIRE

Par deux décisions récentes, la Cour d’appel de Paris vient de prononcer de lourdes sanctions respectivement en faveur de Céline et de Guerlain, confirmant ainsi l’intérêt de la concurrence parasitaire pour obtenir réparation (Cour d’appel de Paris, Pôle 5 – Chambre 2, 10 novembre 2023, 21/19126 et Cour d’appel de Paris, Pôle 5 chambre 1, 20 septembre 2023, 21/19365).

La liberté du commerce et de l’industrie n’est pas absolue. Elle suppose notamment de la part des opérateurs économiques une certaine loyauté, dont le défaut est susceptible d’être sanctionné sur le fondement de la responsabilité civile, dont le mécanisme repose depuis 1804 sur la même définition bien connue : « tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer » (art. 1240 du code civil, anciennement article 1382).

Parmi les agissements déloyaux sanctionnés, le parasitisme, dont la définition est tout aussi connue que l’article 1240 du code civil : « le parasitisme consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d’un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis ».

En l’occurrence la société Céline reprochait aux sociétés Punto Fa et Mango France notamment non pas d’avoir copié ou imité tel ou tel modèle pris isolément, (ce qui en soi aurait pu justifier une condamnation), mais un comportement global de suivisme (plus subtile mais tout autant condamnable) en accumulant les reprises de ses modèles dans le but de permettre à la clientèle de se constituer, à moindre coût, une garde-robe Céline, composée de lunettes de soleil, de sacs à main, de bijoux.

Et avec raison : la cour d’appel a considéré notamment que si les reprises répétées de produits à succès de la société Céline ne peuvent être considérées comme fortuites, celles-ci tendent à générer une évocation de ces produits dans l’esprit de leur clientèle, et ainsi à profiter sans bourse délier des investissements et de la notoriété des articles de la société Céline.

Les sociétés Punto Fa et Mango France ont été lourdement condamnées par la Cour d’appel de Paris le 10 novembre 2023 : 2 millions d’euros de dommages et intérêts à verser à la société Céline (Cour d’appel de Paris, Pôle 5 – Chambre 2, 10 novembre 2023, 21/19126).

Cette lourde condamnation n’est pas sans rappeler la récente condamnation prononcée également par la Cour d’appel de Paris au profit de la société Guerlain sur le même fondement de la concurrence parasitaire : 594 000 euros au titre de la réparation du préjudice matériel correspondant à 1% des dépenses publicitaires engagées par Guerlain en France pour le seul parfum « LA PETITE ROBE NOIRE » et 100 000 euros au titre du préjudice moral retenu au titre de la dilution de la notoriété de ses parfums et de l’atteinte à sa réputation et à son image de marque (Cour d’appel de Paris, Pôle 5 chambre 1, 20 septembre 2023, 21/19365).

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IA & RÈGLEMENT DE L’UNION EUROPÉENNE

A l’issue de négociations entre les institutions européennes, un accord de principe a été trouvé le 8 décembre 2023 sur le futur règlement européen sur l’intelligence artificielle (IA) (Accord de principe, proposition de règlement de l’UE établissant des règles harmonisées concernant l’intelligence artificielle, 8 décembre 2023).

L’Union européenne a décidé de se doter d’une réglementation à l’échelle de l’ensemble des pays membres. L’on se souvient que le 21 avril 2021, la Commission européenne a ainsi posé le premier cadre réglementaire de l’UE pour l’IA, proposant que les systèmes d’IA soient analysés et classés en fonction de leur niveau de risque. Cette proposition de règlement a été votée (et amendée) le 14 juin 2023 par le Parlement européen. La priorité affichée du Parlement était notamment de veiller à ce que les systèmes d’IA utilisés dans l’UE soient sûrs, transparents, traçables, non discriminatoires et respectueux de l’environnement. Le Parlement a également souhaité établir une définition uniforme et neutre sur le plan technologique de l’IA qui pourrait être appliquée aux futurs systèmes d’IA, validant par ailleurs l’approche de la commission fondée sur les risques.

Avec l’accord du 8 décembre, l’adoption du règlement se précise.

En substance, ce dernier tend à favoriser l’innovation tout en protégeant la société, en procédant à une approche de régulation graduée selon les risques : les systèmes d’IA sont classés selon leur niveau de risque ; les contraintes juridiques variant à proportion du risque.

Le texte est riche : près de 90 considérants et presque autant d’articles qui devraient constituer la nouvelle loi européenne sur l’IA. Celle-ci doit encore être formellement adoptée par le Conseil et le Parlement européen en séance plénière, en principe avant le premier semestre 2024. Le Règlement devrait entrer en vigueur deux ans plus tard, en principe en 2026. Avec cette réglementation, l’Union européenne se dote d’un dispositif inédit au niveau mondial pour permettre aux systèmes d’IA de se développer dans un cadre de confiance et dans le respect des droits fondamentaux et des valeurs de l’Union.

Le texte est important. Nous aurons l’occasion d’en reparler.

Car la bataille ne fait que commencer. Elle se joue en ce moment même et sur plusieurs terrains. Son issue dépendra notamment de la place qui sera accordée à une notion clé que l’on retrouve tant dans le règlement de l’UE que dans la proposition de loi française du 12 septembre 2023 visant à encadrer l’IA par le droit d’auteur : la transparence. Transparence d’abord pour permettre la traçabilité des données et des contenus. Transparence ensuite quant à l’information due au public, en particulier aux utilisateurs et à ceux dont les contenus sont utilisés. Transparence plus généralement enfin afin de permettre de concilier des positions antagonistes.

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Lettre d’information Janvier 2024

Au sommaire :

  1. IA & RÈGLEMENT DE L’UNION EUROPÉENNE : A l’issue de négociations entre les institutions européennes, un accord de principe a été trouvé le 8 décembre 2023 sur le futur règlement européen sur l’intelligence artificielle (IA) (Accord de principe, règlement de l’UE établissant des règles harmonisées concernant l’intelligence artificielle, 8 décembre 2023).
  2. LUXE & CONCURRENCE PARASITAIRE : Par deux décisions récentes, la Cour d’appel de Paris vient de prononcer de lourdes sanctions respectivement en faveur de Céline et de Guerlain, confirmant ainsi l’intérêt de la concurrence parasitaire pour obtenir réparation (Cour d’appel de Paris, Pôle 5 – Chambre 2, 10 novembre 2023, 21/19126 et Cour d’appel de Paris, Pôle 5 chambre 1, 20 septembre 2023, 21/19365).
  3. DROIT D’AUTEUR & PRESCRIPTION DE L’ACTION EN CONTREFAÇON : En matière de contrefaçon de droits d’auteur, la prescription quinquennale court à compter du jour où le demandeur à l’action a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer, peu important que ces faits se soient poursuivis dans le temps (Cour de cassation, 1e 15 novembre 2023, n° 22-23.266).
  4. MARQUES & RÉFÉRENCEMENT EN LIGNE : La Cour de cassation applique au référencement naturel, consistant en l’occurrence à insérer la marque d’un concurrent dans le code source de son site Web, la solution de la Cour de Justice relative à l’achat d’un signe à titre de mot-clé dans le cadre d’un référencement commercial (Cour de cassation, 1e 18 octobre 2023, n° 20-20.055, FS-B).
  5. RESPONSABLE DE TRAITEMENT DE DONNÉES PERSONNELLES & SANCTIONS ADMINISTRATIVES : La Cour de Justice de l’Union Européenne a rendu, le 5 décembre 2023, en grande chambre, deux arrêts importants précisant les qualifications de responsable et de co-responsables de traitement de données personnelles, et les conditions auxquelles ceux-ci peuvent se voir condamnés à une amende administrative à raison d’une violation du RGPD (CJUE, 5 décembre 2023, Affaires C 683/21 et C 807/21).

*   *   *

 

 

 

En savoir plus :

  1. IA & RÈGLEMENT DE L’UNION EUROPÉENNE : A l’issue de négociations entre les institutions européennes, un accord de principe a été trouvé le 8 décembre 2023 sur le futur règlement européen sur l’intelligence artificielle (IA) (Accord de principe, proposition de règlement de l’UE établissant des règles harmonisées concernant l’intelligence artificielle, 8 décembre 2023).

L’Union européenne a décidé de se doter d’une réglementation à l’échelle de l’ensemble des pays membres. L’on se souvient que le 21 avril 2021, la Commission européenne a ainsi posé le premier cadre réglementaire de l’UE pour l’IA, proposant que les systèmes d’IA soient analysés et classés en fonction de leur niveau de risque. Cette proposition de règlement a été votée (et amendée) le 14 juin 2023 par le Parlement européen. La priorité affichée du Parlement était notamment de veiller à ce que les systèmes d’IA utilisés dans l’UE soient sûrs, transparents, traçables, non discriminatoires et respectueux de l’environnement. Le Parlement a également souhaité établir une définition uniforme et neutre sur le plan technologique de l’IA qui pourrait être appliquée aux futurs systèmes d’IA, validant par ailleurs l’approche de la commission fondée sur les risques.

Avec l’accord du 8 décembre, l’adoption du règlement se précise.

En substance, ce dernier tend à favoriser l’innovation tout en protégeant la société, en procédant à une approche de régulation graduée selon les risques : les systèmes d’IA sont classés selon leur niveau de risque ; les contraintes juridiques variant à proportion du risque.

Le texte est riche : près de 90 considérants et presque autant d’articles qui devraient constituer la nouvelle loi européenne sur l’IA. Celle-ci doit encore être formellement adoptée par le Conseil et le Parlement européen en séance plénière, en principe avant le premier semestre 2024. Le Règlement devrait entrer en vigueur deux ans plus tard, en principe en 2026. Avec cette réglementation, l’Union européenne se dote d’un dispositif inédit au niveau mondial pour permettre aux systèmes d’IA de se développer dans un cadre de confiance et dans le respect des droits fondamentaux et des valeurs de l’Union.

Le texte est important. Nous aurons l’occasion d’en reparler.

Car la bataille ne fait que commencer. Elle se joue en ce moment même et sur plusieurs terrains. Son issue dépendra notamment de la place qui sera accordée à une notion clé que l’on retrouve tant dans le règlement de l’UE que dans la proposition de loi française du 12 septembre 2023 visant à encadrer l’IA par le droit d’auteur : la transparence. Transparence d’abord pour permettre la traçabilité des données et des contenus. Transparence ensuite quant à l’information due au public, en particulier aux utilisateurs et à ceux dont les contenus sont utilisés. Transparence plus généralement enfin afin de permettre de concilier des positions antagonistes.

  1. LUXE & CONCURRENCE PARASITAIRE : Par deux décisions récentes, la Cour d’appel de Paris vient de prononcer de lourdes sanctions respectivement en faveur de Céline et de Guerlain, confirmant ainsi l’intérêt de la concurrence parasitaire pour obtenir réparation (Cour d’appel de Paris, Pôle 5 – Chambre 2, 10 novembre 2023, 21/19126 et Cour d’appel de Paris, Pôle 5 chambre 1, 20 septembre 2023, 21/19365).

La liberté du commerce et de l’industrie n’est pas absolue. Elle suppose notamment de la part des opérateurs économiques une certaine loyauté, dont le défaut est susceptible d’être sanctionné sur le fondement de la responsabilité civile, dont le mécanisme repose depuis 1804 sur la même définition bien connue : « tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer » (art. 1240 du code civil, anciennement article 1382).

Parmi les agissements déloyaux sanctionnés, le parasitisme, dont la définition est tout aussi connue que l’article 1240 du code civil : « le parasitisme consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d’un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis ».

En l’occurrence la société Céline reprochait aux sociétés Punto Fa et Mango France notamment non pas d’avoir copié ou imité tel ou tel modèle pris isolément, (ce qui en soi aurait pu justifier une condamnation), mais un comportement global de suivisme (plus subtile mais tout autant condamnable) en accumulant les reprises de ses modèles dans le but de permettre à la clientèle de se constituer, à moindre coût, une garde-robe Céline, composée de lunettes de soleil, de sacs à main, de bijoux.

Et avec raison : la cour d’appel a considéré notamment que si les reprises répétées de produits à succès de la société Céline ne peuvent être considérées comme fortuites, celles-ci tendent à générer une évocation de ces produits dans l’esprit de leur clientèle, et ainsi à profiter sans bourse délier des investissements et de la notoriété des articles de la société Céline.

Les sociétés Punto Fa et Mango France ont été lourdement condamnées par la Cour d’appel de Paris le 10 novembre 2023 : 2 millions d’euros de dommages et intérêts à verser à la société Céline (Cour d’appel de Paris, Pôle 5 – Chambre 2, 10 novembre 2023, 21/19126).

Cette lourde condamnation n’est pas sans rappeler la récente condamnation prononcée également par la Cour d’appel de Paris au profit de la société Guerlain sur le même fondement de la concurrence parasitaire : 594 000 euros au titre de la réparation du préjudice matériel correspondant à 1% des dépenses publicitaires engagées par Guerlain en France pour le seul parfum « LA PETITE ROBE NOIRE » et 100 000 euros au titre du préjudice moral retenu au titre de la dilution de la notoriété de ses parfums et de l’atteinte à sa réputation et à son image de marque (Cour d’appel de Paris, Pôle 5 chambre 1, 20 septembre 2023, 21/19365).

  1. DROIT D’AUTEUR & PRESCRIPTION DE L’ACTION EN CONTREFAÇON : En matière de contrefaçon de droits d’auteur, la prescription quinquennale court à compter du jour où le demandeur à l’action a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer, peu important que ces faits se soient poursuivis dans le temps (Cour de cassation, 1e, 15 novembre 2023, n° 22-23.266).

« Aux termes de l’article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. C’est à bon droit que, après avoir énoncé que la prescription des actions civiles en contrefaçon de droit d’auteur est soumise à ces dispositions, la cour d’appel a retenu que, le délai de prescription ayant commencé à courir le 17 décembre 2008, date à laquelle avait été admis le caractère contrefaisant de l’œuvre exposée, l’action intentée le 5 mars 2021 était prescrite, même si la contrefaçon s’inscrivait dans la durée ». C’est ce que vient de juger la Cour de cassation par arrêt du 15 novembre 2023 (Cour de cassation, 15 novembre 2023, n° 22-23.266).

En matière de contrefaçon de droits d’auteur, la prescription quinquennale court ainsi à compter du jour où le demandeur à l’action a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer, peu important que ces faits se soient poursuivis dans le temps. La solution n’est pas nouvelle ; elle est issue de la loi PACTE n°2019-486, entrée en vigueur le 24 mai 2019. Elle a encore été récemment rappelée par la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 17 mai 2023 (Cour d’appel de Paris, Pôle 5 chambre 1, 17 mai 2023, RG n° 21/15795).

La constatation de la poursuite des agissements contrefaisants ne constitue donc plus un motif valable pour différer la prise de décision nécessaire à la cessation des agissements contrefaisants et à l’obtention de mesures réparatrices.

  1. MARQUES & RÉFÉRENCEMENT EN LIGNE : La Cour de cassation applique au référencement naturel, consistant en l’occurrence à insérer la marque d’un concurrent dans le code source de son site Web, la solution de la Cour de Justice relative à l’achat d’un signe à titre de mot-clé dans le cadre d’un référencement commercial (Cour de cassation, 1e 18 octobre 2023, n° 20-20.055, FS-B).

Dites-le avec des fleurs ! Les fleuristes en ligne, qui se livrent manifestement une concurrence acharnée, contribuent de manière significative à la jurisprudence relative à l’usage de la marque d’un concurrent pour référencer un site web marchand : après Interflora, dont l’action avait donné lieu à l’important arrêt de la Cour de Justice du 22 septembre 2011, c’est la société Aquarelle, exploitante du site éponyme, qui est à l’origine de l’arrêt rapporté.

Elle reprochait à un concurrent d’avoir notamment réussi à faire classer son site web marchand parmi les premiers résultats de recherche naturels sur google.fr, en insérant dans le code source dudit site le terme « Aquarelle », sur le fondement du droit des marques. La société Aquarelle soutenait ainsi que cet usage portait atteinte à ses marques verbales éponymes enregistrées dans l’UE et en France.

Les juges du fond l’avaient déboutée de cette demande, au motif que le mot-clé inséré dans le code source n’étant pas visible du public, il ne désignait pas des produits ou des services, en sorte qu’il ne s’agissait pas d’un usage à titre de marque.

La Cour de cassation juge ce motif erroné ; pour elle, l’insertion d’un signe à titre de mot-clé dans le code source d’un site web proposant à la vente des produits ou des services constitue un usage à titre de marque, susceptible d’être contrefaisant si les conditions de la contrefaçon sont par ailleurs réunies.

Ceci posé, la Haute juridiction sauve l’arrêt d’appel, en relevant qu’il avait constaté que l’internaute moyen était suffisamment informé quant à la provenance du site du concurrent ainsi référencé. Elle reprend expressément, pour fonder cette solution, la règle énoncée par la Cour de Justice à propos du référencement promotionnel ou payant (CJUE, Gde Ch., 13 mars 2010, Google c/ Louis Vuitton et alii., Aff. C-327/08 et a. ; 22 septembre 2011, Interflora c/ Mark & Spencer et alii, Aff. C-323/09, qui confirme la solution et l’adapte aux marques renommées), selon laquelle l’achat à titre de mot-clé, dans le cadre d’un référencement payant, d’un signe protégé à titre de marque, peut constituer une contrefaçon de cette marque si l’annonce en résultant ne permet pas, ou permet seulement difficilement à l’internaute moyen de savoir si le produits ou services visés par cette annonce proviennent du titulaire de la marque ou d’une entreprise économiquement liée à ce dernier (en ce cas, en effet, il est porté atteinte à la fonction essentielle de garantie d’origine de la marque).

La Cour de cassation adapte simplement la formule de la Cour de justice, en remplaçant le terme « annonce » par ceux de « référencement naturel ».

L’analogie est logique : dans les deux cas, le signe n’est certes pas visible de l’internaute, mais c’est lui qui a effectué une requête à partir de ce signe ; et, dans les deux cas, la pratique doit pouvoir être sanctionnée cet internaute est susceptible de confondre le site du concurrent et celui du titulaire de la marque, ce qui s’apprécie in concreto au regard des résultats de recherche, payants ou naturels.

  1. RESPONSABLE DE TRAITEMENT DE DONNÉES PERSONNELLES & SANCTIONS ADMINISTRATIVES : La Cour de Justice de l’Union Européenne a rendu, le 5 décembre 2023, en grande chambre, deux arrêts importants précisant les qualifications de responsable et de co-responsables de traitement de données personnelles, et les conditions auxquelles ceux-ci peuvent se voir condamnés à une amende administrative à raison d’une violation du RGPD (CJUE, 5 décembre 2023, Affaires C 683/21 et C 807/21).

Ces deux arrêts de la CJUE, rendus en Grande Chambre, signe de leur importance, précisent les qualifications de responsable et de co-responsable d’un traitement de données personnelles au sens du RGPD ; surtout, ils décident que seule une violation fautive d’une disposition du RGPD justifie le prononcé, par les autorités de contrôle nationales, d’une amende administrative en vertu de l’article 83 du RGPD.

En premier lieu, la CJUE énonce que la qualification de responsable de traitement dépend exclusivement des deux critères cumulatifs énoncés par l’article 4, paragraphe 7 du RGPD, à savoir la contribution de l’entité en cause à la détermination des finalités et des moyens du traitement ; il est, notamment, indifférent que cette entité traite les données personnelles elle-même ou que, au contraire, le traitement soit matériellement mis en œuvre par un tiers. C’est dire qu’une entité qui choisit de déléguer toutes ses opérations de traitement de données à une entité tierce, ne saurait échapper à la qualification de responsable de traitement et au régime afférent, dès lors qu’elle est effectivement intervenue, à des fins qui lui sont propres, dans la détermination des finalités et des moyens de ce traitement.

Dans la même logique, la CJUE confirme ensuite que sont co-responsables de traitement au sens de l’article 26 paragraphe 1 du RGPD, deux entités qui participent ensemble à la détermination des finalités et moyens d’un traitement de données personnelles, même si chacune intervient à des niveaux et degrés différents. Tout autre critère est indifférent ; en particulier, il n’est pas nécessaire qu’il existe, au stade de la qualification, un accord écrit entre les deux entités, un tel accord s’imposant, en vertu du même texte, non pas comme critère de la qualification de responsable conjoint, mais comme une conséquence de celle-ci.

Une fois l’entité qualifiée de responsable de traitement, qu’il s’agisse d’une responsabilité conjointe ou non, celle-ci encourt le risque d’une amende administrative lorsque les conditions de l’article 83 du RGPD sont remplies. Toutefois, et tel est l’apport principal des arrêts rapportés, la CJUE juge expressément qu’une telle amende administrative ne peut pas être prononcée en absence de comportement fautif du responsable de traitement, c’est-à-dire en l’absence d’une violation (visée aux paragraphes 4 à 6 de l’article 83 du RGPD) commise « délibérément ou par négligence » par ce responsable de traitement.

La Cour précise qu’une telle violation s’entend, par analogie avec ses décisions Schenker&Co et Lundbeck/Commission du 25 Mars 2021, de l’hypothèse où le responsable de traitement ne pouvait ignorer le « caractère infractionnel » de son comportement, « qu’il ait eu ou non conscience » d’enfreindre les dispositions du Règlement ; elle ajoute encore que, dans le cas où l’entité est une personne morale, une action ou même une « connaissance » de son organe de gestion n’est pas nécessaire.

Si l’exigence d’une faute, délibérée ou de négligence, est conforme à la lettre de l’article 83 paragraphe 2 du RGPD, la définition de cette faute que retient la CJUE laisse perplexe, tant on a du mal à comprendre qu’un responsable de traitement ne puisse ignorer le « caractère infractionnel » de son comportement tout en n’ayant pas conscience qu’il enfreint le RGPD…

Autrement dit, le simple constat d’une violation matérielle d’une règle du RGPD ne suffit à l’imposition d’une amende administrative sur le fondement de l’article 83 du RGPD, mais la faute nécessaire à cette sanction pourrait résulter d’une violation commise à « l’insu du plein gré » du responsable de traitement…

Enfin, et la solution est plus orthodoxe, la Cour confirme que le responsable de traitement encourt une telle sanction au titre des actes commis pour son compte par le sous-traitant, sauf si ce dernier a effectué le traitement en cause pour des finalités qui lui sont propres, ou si ledit traitement est opéré par lui selon des modalités incompatibles avec les instructions données par le responsable de traitement, ou encore s’il ne peut être raisonnablement considéré que le responsable de traitement aurait consenti à un tel traitement illicite.

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DROIT VOISIN DES ÉDITEURS DE PRESSE & GOOGLE

La société Google France et la société des Droits Voisins de la Presse (« DVP »), le nouvel organisme de gestion collective créé par les éditeurs de presse pour l’exercice du droit voisin qui leur a été reconnu par la loi du 24 juillet 2019, ont annoncé la signature, le 17 octobre 2023, d’un accord entre elles (Communiqués de presse de Google et DVP, 17 octobre 2023).

On sait que la loi du 24 juillet 2019, prise en transposition de l’article 15 de la directive n°2019/790 du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique, dite « DAMUN », a instauré un droit voisin au profit des éditeurs de publications de presse, visant à leurs permettre de contrôler certaines utilisations de leurs publications par les services de communication au public en ligne, en particulier celles opérées par certains services, tels que Extended News Preview de Google.

Un certain nombre d’éditeurs de presse se sont regroupés pour créer, le 26 octobre 2021, la société des Droits Voisins de la presse, dite « DVP », nouvel organisme de gestion collective habilité à gérer ce droit voisin.

Google et DVP ont annoncé avoir signé, le 17 octobre dernier, un accord autorisant le géant de l’internet à utiliser, dans le cadre du service précité, les publications de presse appartenant au répertoire de DVP ; les modalités de cet accord, en particulier financières, ne sont pas connues, le texte n’ayant pas été publié.

Il s’agit à notre connaissance du premier accord conclu par DVP, et du quatrième accord important conclu par Google en France, après ceux intervenus avec l’Alliance de la Presse d’Information Générale (« APIG »), le Syndicat des Editeurs de Presse Magazine (« SPEM ») et l’Agence France Presse (« AFP »). Ces accords couvriraient, selon Google, plus de 350 sites d’éditeurs de presse en France.

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