« 3 questions à Xavier Près et Vincent Varet sur les “NTF Art” », Le Club des Juristes, décembre 2021

NFT Art

3 questions à Xavier Près et Vincent Varet sur les “NTF Art”

Par Vincent Varet, Professeur associé à l’Université Panthéon-Assas Paris II, et Xavier Près, enseignant à l’Université Paris Dauphine et au CELSA, Docteurs en droit, Avocats associés VARET PRÈS

Tout le monde parle des NFT. De quoi s’agit-il exactement, juridiquement et techniquement ?

Tout le monde en parle en effet. Pas un jour ne s’écoule sans que la presse, grand public ou spécialisée, ne publie un article sur le sujet. Le phénomène a pris une ampleur inédite avec la vente record, le 11 mars 2021, d’une œuvre numérique par un artiste jusqu’alors inconnu du grand public, à savoir « Everyday : the First 5 000 days » de l’artiste Beeple (aliasMike Winkelmann). L’œuvre représentant un monumental collage virtuel a été adjugée 69,3 millions de dollars lors d’une vente en ligne organisée par Christie’s, soit sur le troisième prix le plus élevé pour un artiste vivant, après Jeff Koons et David Hockney. La genèse des NFT Art reste à établir : d’aucuns considèreraient que l’histoire aurait débuté lorsque l’entrepreneur Anil Dash et l’artiste numérique Kevin McCoy’s auraient créé, en 2014, le tout premier NFT après avoir constaté que nombre de créations numériques (images, vidéos, photos) circulaient sans que leurs auteurs n’en soient crédités. Depuis les NFT Art sont partout : les plus grands noms s’y mettent comme les artistes Damien Hirst, Shepard Fairey, Kaws, Murakami ou Jenny Holzer, ou les musées comme l’Hermitage ou encore le Bristish museum. Et les œuvres contemporaines sont même transformées en NFT pour nourrir le marché des enchères. Bref, l’engouement est total. Leur importance dans le marché de l’art ne saurait toutefois être surestimée. Les ventes en ligne d’œuvres cryptées en NFT seraient estimées en 2021 à 2% du marché global selon le dernier rapport d’Artprice d’octobre 2021.

Juridiquement, qu’est-ce que c’est ? Pour répondre à cette question, il est utile de faire un détour par le monde physique. Dans ce monde-là, une œuvre d’art est à la fois un bien corporel (meuble – une peinture, une sculpture – ou immeuble – une œuvre architecturale), du moins lorsqu’il existe un support tangible, et un bien meuble incorporel, à savoir une création immatérielle faisant l’objet d’un droit de propriété intellectuelle exclusif et opposable à tous, lorsque cette œuvre constitue une création de forme originale protégée, à ce titre, par le droit d’auteur. Le droit de propriété corporelle porte sur le support de l’œuvre, tandis que le droit de propriété intellectuelle porte sur l’œuvre de l’esprit, création immatérielle « incorporée » à ce support. Ces deux droits ne se confondent pas. Le Code de la propriété intellectuelle l’énonce clairement : « la propriété incorporelle (…) est indépendante de la propriété de l’objet matériel » (art. L. 111-3 du code de la propriété intellectuelle). Autrement dit, le titulaire du support d’une œuvre d’art ne saurait pour autant l’exploiter (i.e. la reproduire et la représenter) sans obtenir préalablement l’autorisation du ou des titulaires des droits d’auteur sur l’œuvre elle-même. Pour les œuvres d’art graphiques et plastiques, la valeur de l’œuvre réside en grande partie dans celle de son support, les deux étant indissociables. C’est au demeurant si vrai que le droit de suite, qui permet à un auteur de « suivre » son œuvre et d’obtenir, lors de la revente de son support matériel par un professionnel du marché de l’art, un pourcentage du prix de cette vente, a été institué précisément pour compenser les faibles recettes tirées par l’artiste du droit de reproduction et de représentation permettant d’exploiter l’œuvre immatérielle, ses ressources provenant essentiellement de la vente initiale du support incorporant celle-ci (le tableau, la sculpture).

Dans l’univers numérique, le support de l’œuvre n’a pas de valeur spécifique en ce qu’il est reproductible à l’infini, à l’identique et à peu de frais ; il est parfaitement interchangeable. Comment dès lors lui donner une valeur ? En le rendant unique. Comment ? Par un NFT ou « Non-Fungible Token », soit en français « jeton non fongible ». Une chose non fongible est un bien qui se définit par ses caractéristiques propres et qui n’est donc pas interchangeable ; il est unique, ainsi que l’est, par exemple… une œuvre d’art dans le monde physique (par ex. la Joconde). De là à dire que le NFT est à l’œuvre numérique ce qu’une peinture ou une sculpture est à l’art « physique » il y a un pas, qui ne saurait être franchi sans nuance. Précisément parce que le NFT n’est pas l’œuvre elle-même. Le NFT est un jeton, qui certes présente la caractéristique d’être non fongible, mais qui reste un jeton (ou « token »). Or l’article L. 552-2 du code monétaire et financier énonce que : « Constitue un jeton tout bien incorporel qui représente sous forme numérique un ou plusieurs droits qui peuvent être émis, inscrits, conservés ou transférés au moyen d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant d’identifier, directement ou indirectement le propriétaire dudit bien ». C’est donc un bien (…) qui représente (…) un ou plusieurs droits et qui permet d’identifier son propriétaire. Le jeton n’est donc pas l’œuvre ; il est ce qui permet d’identifier l’auteur de l’œuvre et de rattacher l’œuvre à son propriétaire ; il garantit aussi, en principe, l’unicité du fichier auquel il est associé (ce qui n’exclut pas que celui-ci soit dupliqué, mais le nouveau fichier ainsi créé ne sera pas identifié comme « l’original »). Le jeton est donc un « titre » qui permet d’en identifier le propriétaire, soit dans le domaine de l’art, l’équivalent d’« un certificat d’authenticité » pour reprendre l’expression employée par M. le Professeur Edouard Treppoz lors d’un colloque organisé sur le sujet par l’institut Art & Droit.

Techniquement comment ça marche ? Techniquement, un jeton est généré par un smart contract, c’est-à-dire un ensemble de règles contenu dans un programme informatique en permettant l’exécution. Ces programmes informatiques sont exécutables sur des dispositifs technologiques de type blockchain (ou « chaines de blocs »), permettant d’enregistrer des informations sur un registre décentralisé, distribué à l’identique sur une multitude d’ordinateurs, sans hiérarchie entre eux (« peer to peer »), de manière en principe immuable et constamment actualisée. La blockchain contient ainsi à la fois le jeton non fongible (et donc unique en ce qu’il correspond à un identifiant unique), généré par un smart contract, et une adresse (de type Ethereum ou Solana par ex.) à laquelle le jeton est associé. La circulation du jeton est réalisée par le transfert du jeton d’une adresse à une autre, chaque opération ayant un numéro de transaction unique (ou « hash »), lequel permet de retrouver la transaction et les informations y afférentes (date, montant, adresse d’expédition et de réception). Les transactions s’opèrent sur des plateformes (ou « marketplaces » telles que Opensea, Foundation, Rarible, SupRare, CoinBase NFT, etc.), via des portefeuilles numériques (ou « wallet », dont le plus utilisé est Metamask), comprenant des crypto-monnaies (Ether ou bitcoin) et des NFT. Mais l’œuvre numérique elle-même n’est la plupart du temps pas enregistrée dans la blockchain, mais ailleurs, hors-chaîne, sur un serveur. Elle est en effet stockée dans un ficher vidéo ou de métadonnées (comprenant les éléments caractéristiques de l’œuvre : son titre, sa description, ses propriétés, etc.) et reliée à la Blockchain via une adresse url contenue dans le smart contract. De sorte que si les informations circulant dans la blockchain bénéficient des qualités attachées à cette technologie, réputée infalsifiable, il n’en est pas de même de l’œuvre numérique elle-même dès lors qu’elle est hors-chaîne. Cet inconvénient réel, qui peut conduire à la disparition de l’œuvre (suppression volontaire du fichier, destruction du serveur par incendie, etc.) tend toutefois à s’estomper avec de nouveaux dispositifs techniques (de type IPFS, InterPlanetary File System) qui permettent d’enregistrer l’œuvre via des protocoles d’hébergement décentralisé rendant toute opération de suppression ou de modification plus difficile.

Si le NFT n’est pas l’œuvre d’art, le droit d’auteur a t-il vocation à s’appliquer, notamment le droit de suite, si important pour les auteurs d’œuvres graphiques et plastiques ?

Le droit d’auteur a naturellement vocation à s’appliquer. Certes, aucune disposition n’envisage expressément les NFT, mais ce silence n’est nullement un obstacle à l’application des règles existantes. Le droit d’auteur est au demeurant habitué à étendre son emprise à des œuvres ou techniques développées postérieurement aux règles légales en vigueur. Cela a été le cas naguère de la photographie, du cinématographe, du phonographe, de la télévision, de la radiodiffusion. Cela a encore été le cas plus récemment avec les programmes d’ordinateur, les bases de données informatiques, ou encore le réseau Internet. Les NFT n’y échappent pas, pas plus que demain les œuvres qui seront réalisées dans les métaverses. En l’occurrence, l’œuvre numérique sera protégée au titre du droit d’auteur dès lors qu’elle en réunit les conditions, à savoir s’il s’agit d’une création de forme originale, originalité et forme étant les deux seules conditions d’accès à cette protection. L’auteur de l’œuvre numérique associée à un NFT bénéficiera ainsi des prérogatives morales (droit de divulgation, droit à la paternité, droit au respect et droit de retrait et de repentir) et des prérogatives patrimoniales (notamment droit de reproduction et de représentation ou communication au public, droit de distribution) reconnues par la loi aux auteurs d’œuvres de l’esprit, à la différence près que la question de la preuve de la titularité de l’œuvre sera en principe facilitée par le NFT. Rien de nouveau donc, sauf à mentionner, d’une part, que les NFT n’identifient pas toujours une œuvre de l’esprit protégée au titre du droit d’auteur (le jeton peut porter sur des éléments banals ou relevant du genre ou du fond commun) et, d’autre part, qu’une œuvre numérique peut elle-même violer les droits d’un tiers, dans le cas où par exemple elle serait contrefaisante. La création d’une œuvre numérique associée à un NFT ne saurait donc conduire son auteur à s’affranchir des règles applicables, et notamment du droit d’auteur, au seul motif de son caractère immatériel et de sa circulation sur la blockchain. Sauf à l’apprendre à ses dépens, puisque de la même manière que le NFT permet d’identifier l’auteur d’une œuvre, il permet tout autant d’identifier l’auteur de la contrefaçon si l’œuvre en est une.

L’une des questions qui, en revanche, se pose est celle de savoir si les transactions sur le NFT qui s’opèrent sur la blockchain sont ou non soumises au droit d’auteur. On pense alors immédiatement au droit de suite,dès lors que les NFT Art sont aujourd’hui d’abord et avant tout un phénomène spéculatif, qui implique des opérations de revente successives. Selon l’article L. 122-8 du code de la propriété intellectuelle « Les auteurs d’œuvres originales graphiques et plastiques ressortissants d’un Etat membre de la Communauté européenne ou d’un Etat partie à l’accord sur l’Espace économique européen bénéficient d’un droit de suite, qui est un droit inaliénable de participation au produit de toute vente d’une œuvre après la première cession opérée par l’auteur ou par ses ayants droit, lorsque intervient en tant que vendeur, acheteur ou intermédiaire un professionnel du marché de l’art. Par dérogation, ce droit ne s’applique pas lorsque le vendeur a acquis l’œuvre directement de l’auteur moins de trois ans avant cette vente et que le prix de vente ne dépasse pas 10 000 euros. ». Au regard de ces dispositions, la revente d’une œuvre numérique, graphique ou plastique, associée à un NFT devrait donc être soumise au droit de suite dès lors qu’il s’agit d’une œuvre « originale » au sens de ce texte, à savoir s’il s’agit d’une « œuvre créée par l’artiste lui-même » ou d’« exemplaires exécutés en quantité limitée par l’artiste lui-même ou sous sa responsabilité ». Autrement dit, le droit de suite s’applique aux œuvres existant en un exemplaire unique ou en un nombre d’exemplaires limités autorisés par l’auteur. Or le NFT a précisément pour objet de distinguer un exemplaire unique ou des exemplaires « numérotés », des copies numériques illimitées. Que le fichier numérique ne soit pas créé par l’artiste lui-même, s’il n’a pas de compétence informatique par exemple, n’est pas un obstacle, dès lors que l’œuvre est créée « par l’artiste (…) ou sous sa responsabilité », soit directement, soit indirectement lorsque, par exemple, l’œuvre aura été créée dans le monde physique avant d’être traduite en un langage informatique. Pour autant, le fichier numérique correspond-il à la notion d’« original » au sens du droit de suite ? La réponse nous semble positive, dès lors que l’article R. 122-3 du code de la propriété intellectuelle vise les « créations plastiques sur support audiovisuel ou numérique » (et ce dans la limite de 12 exemplaires). En définitive, la seule hésitation quant à l’application de l’article L. 122-8 du code de la propriété intellectuelle a trait à son exclusion lorsque « le prix de vente ne dépasse pas 10 000 euros ». Le texte fait ainsi référence à des transactions opérées en euros. S’applique-t-il lorsque la transaction n’est pas réalisée dans cette monnaie fiduciaire mais viades crypto-monnaies ? Cela ne paraît pas un obstacle rédhibitoire, dès lors que ces dernières peuvent être converties en euros. Quoiqu’il en soit, en pratique, ces hésitations sont souvent balayées lorsque le smart contract, qui génère le NFT, prévoit dans son code informatique un dispositif équivalent au droit de suite en assujettissant toute revente du NFT à l’attribution, au profit du créateur de l’œuvre, d’une quote-part de son prix de vente. Ce droit de suite contractuel, rendu efficient par une ligne de code, n’épuise toutefois pas la question de l’application du droit de suite légal, dès lors que ce dernier constitue une disposition impérative, l’artiste ne pouvant y renoncer.

La revente d’un NFT associé à une œuvre protégée par le droit d’auteur est-elle soumise au droit de distribution ?

Le droit de distribution est en effet l’autre sujet important s’agissant de l’application du droit d’auteur aux transactions portant sur les NFT qui s’opérent sur la blockchain. Dès lors que l’on admet que la revente d’un NFT associé à une œuvre graphique ou plastique peut être soumise au droit de suite, il faut également répondre par l’affirmative à une autre question que posent les NFT associés à une création immatérielle protégée par le droit d’auteur. Cette question est celle de savoir si, au-delà des œuvres graphiques et plastiques, la revente d’un NFT associé à une œuvre protégée par le droit d’auteur est soumise au droit de distribution, qui permet au titulaire de ce droit d’autoriser ou interdire la commercialisation par la vente d’exemplaires de son œuvre. Ce droit, conçu dans l’univers matériel, a pour particularité de s’épuiser après son premier exercice par son titulaire. Autrement dit, ce dernier peut seul autoriser la première mise en vente des exemplaires de son œuvre ; mais, ceux-ci, une fois commercialisés avec son autorisation, doivent pouvoir circuler librement dans l’Espace Economique Européen, et donc être revendus, sans qu’il puisse s’y opposer (sous réserve du jeu du droit de suite pour les œuvres d’art uniques ou en exemplaires limités, v. supra). Cette règle, dite de « l’épuisement du droit de distribution » (art. L. 122-3-1 du code de la propriété intellectuelle), a été conçue pour concilier le droit d’auteur et la libre circulation des marchandises, c’est-à-dire les supports matériels des œuvres (livres papier, Cd, Dvd, etc.), au sein du marché unique européen. Concrètement, elle permet que l’acquéreur d’un livre, d’un vinyle ou d’un Dvd, fabriqué avec l’autorisation de l’auteur de l’œuvre qui y est incorporée, puisse le revendre librement lorsqu’il n’en a plus l’usage.

L’extension de cette règle à l’univers numérique a fait l’objet de débats acharnés : en synthèse, la Cour de Justice de l’Union Européenne a admis son application aux logiciels dématérialisés (i.e. commercialisés par voie de téléchargement, le fichier ainsi obtenu et la clé de licence associée pouvant être « revendus » par leur « acquéreur » sans que le titulaire du droit d’auteur puisse s’y opposer – arrêt du 3 juillet 2012, dit « Usedsoft ») ; mais l’a exclu pour les livres numériques et, a priori, les autres œuvres, en sorte que la « revente » d’un livre numérique d’occasion est subordonnée à l’autorisation du titulaire du droit d’auteur y afférent (CJUE, 19 décembre 2019, « Tom Kabinet »). Selon la Cour de Justice, en effet, l’offre de téléchargement du fichier numérique d’une œuvre protégée (photo, livre, musique, film), hors le cas particulier des logiciels, relève du droit de communication au public (art. L. 122-2 du code de la propriété intellectuelle), lequel, contrairement au droit de distribution, ne s’épuise pas avec son premier usage. Autrement dit, le titulaire du droit d’auteur conserve la faculté d’autoriser ou d’interdire chaque « revente » des fichiers numériques incorporant son œuvre. Outre sur des arguments d’ordre téléologique (telle aurait été la volonté des rédacteurs de la directive 2001/29 relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information, qui régit la matière), la solution est fondée notamment sur le constat, factuel, énoncé au début de cet article, que dans l’univers numérique, les fichiers se transmettent en se dupliquant, autrement dit en étant reproduits : le détenteur initial du fichier incluant une œuvre (roman, album, film), qui le « revend », ne se dessaisit pour autant pas du sien ; il en transmet seulement une copie, que son détenteur peut à son tour dupliquer pour en transmettre une nouvelle copie à un tiers tout en conservant la sienne, et ainsi potentiellement à l’infini. On conçoit que, dans un tel contexte, le titulaire du droit d’auteur soit légitime à conserver le contrôle et donc à subordonner à son autorisation la réalisation de celles de ces copies qui ne resteraient pas cantonnées à la sphère strictement privée, mais seraient au contraire commercialisées.

Or, les NFT changent la donne : en effet, on l’a vu, chaque NFT garantit l’unicité du fichier numérique de l’œuvre à laquelle il est associé. Par suite, comme on l’a fait pour le droit de suite, on peut admettre que la revente d’un NFT, qui, rappelons-le, est un titre identifiant son propriétaire et lui garantissant l’accès à l’œuvre associée, soit assimilable à la vente d’un exemplaire matériel de cette œuvre. Il devrait donc, alors, relever du droit de distribution et non du droit de communication au public, en sorte que chaque acquéreur successif pourrait le revendre sans que le titulaire du droit d’auteur puisse s’y opposer. Les enjeux sont loin d’être théoriques : dans le domaine des arts graphiques et plastiques, la solution qui vient d’être esquissée rend juridiquement possible de revendre sans autorisation du titulaire du droit d’auteur des NFT associés à une même œuvre (chaque NFT étant associé à un fichier de cette œuvre), indépendamment de la condition de leur existence en « quantité limitée », exigée pour l’application du droit de suite. Au-delà, elle favorise l’émergence de nouvelles pratiques commerciales dans le monde de la musique et de l’audiovisuel : ainsi, le groupe de rock Kings of Leon a commercialisé en mars 2021 son dernier album notamment sous forme de NFT, chacun d’entre eux donnant accès, outre à l’album lui-même, à sa pochette ainsi qu’à des places de concert VIP. Et le rappeur Booba a récemment commercialisé le clip d’une de ses chansons sous forme de 25.000 NFT. Si, comme nous le pensons, la commercialisation de ces NFT relève du droit de distribution, leurs primo-acquéreurs pourront les revendre librement, sans que l’opération soit subordonnée à l’autorisation des créateurs en cause.

Enfin, le réalisateur Quentin Tarantino a annoncé son intention de commercialiser des extraits de ses films sous forme de NFT, opération à laquelle la société Miramax, productrice desdits films, a décidé de s’opposer, au motif qu’elle était, et non Quentin Tarantino, titulaire des droits d’auteur afférents à ces extraits. Ce qui suscite une autre question : à qui appartient le droit d’exploitation d’une œuvre sous forme de NFT ? A titre originaire, à son auteur, sans nul doute, en tout cas en droit français ; mais ce droit a-t-il été cédé à l’exploitant (i.e. le producteur) de l’œuvre en cause, dans le cadre du contrat d’exploitation  entre l’auteur et lui, conclu avant l’apparition des NFT ? La réponse à cette question implique d’analyser ce contrat, et différera sans doute selon que ledit contrat relèvera du droit européen ou, dans notre exemple, du droit américain. C’est pourquoi la solution qui sera donnée, en l’absence d’accord amiable, à l’affaire opposant Quentin Tarantino à Miramax ne sera sans doute pas universelle. Quoi qu’il en soit, ce premier litige relatif au droit d’auteur appliqué aux NFT confirme, s’il était besoin, que la rencontre entre le NFT et la propriété intellectuelle n’est pas que virtuelle.

L’article a été publié en novembre 2021

Il est à lire sur le blog du club des juristes:  https://blog.leclubdesjuristes.com/3-questions-a-xavier-pres-et-vincent-varet-sur-les-ntf-art/

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