« Faux billets : des confusions persistantes à éviter », Club des juristes, par Rhadamès Killy et Xavier Près

L’article de Rhadamès Killy et Xavier Près a été publié le 12 juin 2022 sur le site Le Club des juristes.

Il est à lire ici  ou ci-dessous :

Faux billets : des confusions persistantes à éviter

Mal désigner les choses, c’est s’interdire de les comprendre. Après les incidents qui ont émaillé la finale de la Champions League opposant Liverpool au Real Madrid au Stade de France le 28 mai 2022, la notion de « faux billets » a déboulé dans la presse et, avec elle, des confusions qui empêchent toute compréhension des évènements. Alors que D. Lallement, préfet de Paris était interrogé ce matin devant le Sénat avant que ça ne soit au tour de la Fédération Française de Football (FFF) et pour mieux comprendre, précisons les choses.

L’UEFA était-il le seul responsable de l’organisation de la billetterie pour le match Real Madrid / Liverpool ?

En droit français, l’organisateur juridique d’une compétition sportive dispose d’un droit portant sur la manifestation sportive qu’il organise, en ce compris la billetterie. C’est un droit de propriété dont sont titulaires les fédérations sportives, ainsi que les organisateurs de manifestations et portant sur le droit d’exploitation des manifestations ou compétitions sportives qu’ils organisent.

Ce droit de propriété, ou « droit d’exploitation » ou « monopole d’exploitation », a été consacré en droit français en 1992. Il confère aux organisateurs de compétitions et manifestations sportives un droit exclusif sur l’exploitation de leurs évènements, leur donnant ainsi le droit de contrôler toutes les utilisations patrimoniales (lucratives) de ces manifestations sportives, en particulier la billetterie (cf notre Article au Jurisport). L’octroi d’un tel droit a été justifié par les investissements engagés pour l’organisation de tels évènements – qui en font la valeur intrinsèque – et par le fait que l’organisateur est responsable, civilement et pénalement, des incidents notamment en termes de sécurité qui peuvent subvenir en lien avec l’organisation et à l’occasion de la tenue de l’évènement sportif concerné.

Ce droit n’existe quasiment qu’en France (il n’existe pas en Angleterre par exemple). Dès lors que la manifestation se déroule en France, il a vocation à s’appliquer.  En l’occurrence le match de la Finale de la Champions League Liverpool vs Réal de Madrid a eu lieu en France ; il était organisé par l’UEFA (l’Union des associations européennes de football), l’instance dirigeante du football européen qui était donc la seule instance en droit et responsable de l’organisation de la billetterie, la FFF n’étant intervenue qu’en qualité de prestataire de l’UEFA aux fins de l’organisation du match.

L’UEFA devait donc veiller à empêcher la circulation de « faux billets » et la « revente illicite d’un vrai billet » et c’est à ce titre qu’elle a indiqué avoir diligenté une enquête à la suite des débordements observés lors du match.

G. Darmanin indique que 30.000 à 40.000 supporters anglais se seraient présentés sans billet ou avec un faux billet – que faut-il entendre par « faux billets » ?

Il faut ne pas confondre un « faux billet » de la « revente illicite d’un vrai billet » : si tous deux sont pénalement sanctionnés, il s’agit néanmoins de deux notions distinctes, prévues et sanctionnées par des textes distincts.

Un faux billet est un billet qui n’est pas émis par l’organisateur juridique de la manifestation sportive, ici l’UEFA. Il ne permet pas, par voie de conséquence, d’accéder à la manifestation sportive. De fait, le spectateur putatif sera recalé à l’entrée du stade, son faux billet ne pouvant être validé informatiquement.

Les faux billets constituent une escroquerie, prévue et réprimée sur le fondement de l’article 313-1 du code pénal qui sanctionne notamment le fait, soit par l’usage d’un faux nom ou d’une fausse qualité, soit par l’abus d’une qualité vraie, soit par l’emploi de manœuvres frauduleuses, de tromper une personne et de la déterminer ainsi, à fournir un service. Les peines sont lourdes et l’escroquerie est punie de 5 ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende.

En outre et dès lors que seraient reproduits sur les faux billets les marques et éléments d’identité visuelle susceptibles d’être protégés au titre du droit d’auteur (logo, dessins, etc.) de l’organisateur de la manifestation sportive, la qualification de contrefaçon de marque et/ou de droit d’auteur, selon les cas, délits pénalement sanctionnés pourra aussi être retenue.

G. Darmanin a évoqué une « fraude massive, industrielle et organisée de faux billets » – n’y a-t-il pas à votre sens une confusion dans cette déclaration entre les « faux billets » et la revente illicite de vrais billets ?

La revente illicite de « vrais billets » se distingue de celle des « faux billets » en ce que, à la différence des seconds, les premiers sont émis par l’organisateur de la manifestation sportive (l’UEFA), mais revendus sans son autorisation. Il s’agit donc bien d’un vrai billet permettant d’accéder à la manifestation sportive, de franchir les portillons d’entrée, et par conséquent, les dispositifs de sécurité et de contrôle, et in fine de trouver sa place. Le délit est toutefois constitué dès lors qu’il est revendu sans l’autorisation de l’organisateur de la manifestation sportive -c’est-à-dire par un tiers qui n’est pas agréé par ce dernier, et à condition que la manifestation se déroule en France. Il faut toutefois noter que la revente de billets est autorisée dans la plupart des pays (notamment l’Angleterre) et que le dispositif français demeure relativement unique.

L’article 313-6-2du code pénal prévoit et réprime la revente illicite de billets et sanctionne ainsi par une amende le fait de vendre, de proposer de vendre ou d’exposer en vue de vendre des titres d’accès à une manifestation sportive ou à un spectacle vivant, de manière habituelle et sans l’autorisation de l’organisateur ou du propriétaire des droits d’exploitation de cette manifestation.

L’absence d’autorisation de l’organisateur de la manifestation sportive est une condition essentielle ; elle constitue la pierre angulaire du délit. Elle résulte du monopole reconnu à l’organisateur de la manifestation par l’article L.333-1 du code du sport et évoqué plus haut.

Autre condition importante : la revente de billets (plus exactement la vente de billets, l’offre de vente, l’exposition en vue de la vente ou de la cession ou encore la fourniture de moyens) est interdite dès lors qu’elle est réalisée de « manière habituelle » et ce afin de sanctionner l’organisation régulière d’un commerce, sans empêcher pour autant la revente occasionnelle d’un billet par celui qui l’a acheté et qui, pour une raison ou une autre, ne peut pas en avoir l’usage. Les sociétés Viagogo, parmi les plus importants opérateurs de revente en ligne de billets avaient saisi le Conseil constitutionnel en soutenant que l’expression « manière habituelle » était imprécise et contrevenait ainsi au principe de légalité des délits et des peines, constitutionnellement protégé. Le Conseil Constitutionnel a rejeté cette demande et  validé la conformité de la disposition du code pénal à la Constitution.

La revente illicite de billets peut également s’accompagner d’agissements contrefaisants dès lors que la revente de billets pour une manifestation se déroulant en France s’accompagnera de la reproduction, sans autorisation de leur titulaire, des marques de l’organisateur de la manifestation sportive. L’infraction sera alors réprimée dans les mêmes termes que ceux concernant la contrefaçon applicable à de faux billets.

Précisons enfin que la présente analyse ne traite du sujet des faux billets et de la revente illicite que sous l’angle pénal, sans exhaustivité (le recel pourrait par exemple fonder des poursuites), et que les délits précités peuvent être également civilement sanctionnés, si les conditions sont réunies (voir Article au Jurisport précité).

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