NEW ! Lettre d’information Mars 2024

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Au sommaire :

  1. IA & RÈGLEMENT DE L’UNION EUROPÉENNE : Vote par le Parlement européen, le 13 mars 2024, après l’adoption le 2 février 2024 à l’unanimité des 27 États membres de l’UE, de la proposition de règlement sur l’intelligence artificielle (IA) dont la dernière version a été divulguée le 21 janvier 2024 (Règlement UE sur l’intelligence artificielle, vote du Parlement européen du 13 mars 2024).
  2. MARQUE & GARANTIE D’ÉVICTION : Pour la première fois, la Cour de cassation ajoute une exception à la règle selon laquelle celui qui doit garantie ne peut évincer, « lorsque l’action en déchéance pour déceptivité acquise d’une marque est fondée sur la survenance de faits fautifs postérieurs à la cession et imputables au cessionnaire » (Cour de cassation, com., 28 février 2024, n° 22-23.833).
  3. MARQUE & USAGE DANS LA VIE DES AFFAIRES : Rappel par la Cour de cassation des contours du critère de l’utilisation dans la vie des affaires concernant la contrefaçon de marque. Ainsi, la situation du contrefacteur présumé est indifférente lorsque l’utilisation de la marque n’est pas intrinsèquement économique, comme en l’espèce (Cour de cassation, crim., 27 février 2024, n°23-81.563).
  4. MUSIQUE, CINÉMA & DROIT D’AUTEUR : Outre le rappel d’une solution bien connue depuis la jurisprudence « Perrier » selon laquelle le formalisme des cessions de droits d’auteur n’est applicable qu’aux seuls contrats conclus par l’auteur lui-même, la Cour de cassation précise que la synchronisation d’une chanson dans un film ne constitue pas en soi une atteinte au droit moral de l’auteur et des artistes-interprètes (Cour de cassation, 1e, 28 février 2024, n° 22-18.120).
  5. DSA & NOUVELLES OBLIGATIONS DES PLATEFORMES EN LIGNE : Le Règlement relatif à un marché unique des Services Numériques ou « RSN », plus connu sous son acronyme anglo-saxon « DSA » (pour Digital Services Act) est entré en application pour tous les opérateurs concernés le 17 février dernier ; il crée une nouvelle catégorie d’opérateurs, les fournisseurs de « plateformes en ligne », sur lesquels pèsent de nouvelles obligations (Règlement UE du Parlement européen et du Conseil n°2022/2065 du 19 octobre 2022 relatif à un marché unique des Services Numériques).
  6. SPORT & DONNÉES PERSONNELLES : La CNIL portera en 2024 une attention toute particulière aux traitements de données personnelles opérés par les professionnels du secteur du sport (« Les contrôles de la CNIL en 2024 : données des mineurs, Jeux Olympiques, droit d’accès et tickets de caisse dématérialisés », 8 février 2024 et « La collecte de données pour la mesure de la performance physique individuelle des sportifs de haut niveau ou professionnels », 20 février 2024).
  7. SPORT & PROPRIÉTÉS OLYMPIQUES : Le 8 mars 2024 s’est tenu le colloque organisé notamment par la Cour de cassation sur les « Propriétés olympiques », dont les actes seront bientôt publiés aux éditions Dalloz (Colloque Cour de cassation, « Les propriétés olympiques », 8 mars 2024).

En savoir plus :

  1. IA & RÈGLEMENT DE L’UNION EUROPÉENNE : Vote par le Parlement européen, le 13 mars 2024, après l’adoption le 2 février 2024 à l’unanimité des 27 États membres de l’UE, de la proposition de règlement sur l’intelligence artificielle (IA) dont la dernière version a été divulguée le 21 janvier 2024 (Règlement UE sur l’intelligence artificielle, vote du Parlement européen du 13 mars 2024).

Ça y est, c’est fait : la proposition de Règlement de l’Union Européenne (UE) sur l’intelligence artificielle (IA) a été votée le 13 mars 2024 par le Parlement européen après son adoption le 2 févier 2024 à l’unanimité par les 27 États membres de l’UE. La version communiquée au public la plus récente date du 21 janvier 2024 et comporte des modifications importantes au regard des précédentes versions, notamment celles du 14 juin 2023 et du 21 avril 2021. La version finale du texte doit encore être validée en avril prochain. Le Règlement sur l’IA sera applicable 24 mois après son entrée en vigueur, soit a priori au printemps 2026. Certaines de ces dispositions seront toutefois applicables dès avant 2026 afin de permettre à chacun de prendre les mesures nécessaires à une mise en conformité progressive de ses systèmes d’IA.

Le Règlement de l’UE sur l’IA est un texte transverse. Il a vocation à s’appliquer largement, à tout opérateur de systèmes d’IA (fournisseur, déployeur, distributeur, fabricant, importateur) dont le siège social se situe dans l’UE, ou, sous certaines conditions, dans un pays tiers lorsque les systèmes d’IA sont commercialisés dans l’UE. Il a également vocation à s’appliquer tous secteurs confondus, à l’exclusion toutefois des finalités exclusivement militaires, de défense ou de sécurité nationale ou encore à des fins exclusives de recherche et de développement scientifique.

En substance, le Règlement de l’UE sur l’IA tend à favoriser l’innovation tout en protégeant la société, en procédant à une approche de régulation graduée selon les risques : les systèmes d’IA sont classés selon leur niveau de risque, les contraintes juridiques variant à proportion de ce risque. Les plus dangereux sont les systèmes d’IA considérés comme présentant un « risque inacceptable ». Ils sont par conséquent interdits. En substance, il s’agit des systèmes d’IA qui (i) utilisent des techniques permettant d’altérer le pouvoir décisionnel d’une personne (techniques subliminales par exemple), (ii) évaluent ou classent les personnes (score social) ou (iii) utilisent des systèmes d’identification biométrique à distance « en temps réel » dans des espaces accessibles au public à des fins de maintien de l’ordre, sauf cas particuliers.

Une catégorie intermédiaire vise les systèmes d’IA « à haut risque ». Il s’agit, d’une part, des systèmes d’IA qui, sous certaines conditions, sont utilisés en lien avec un produit relevant de la législation de l’UE sur la sécurité des produits selon une liste définie en annexe 2 (près d’une vingtaine de règlements et de directives de l’UE sont ainsi concernés, pour des produits aussi divers que notamment les jouets, les ascenseurs, les équipements radio électriques, les équipements sous pression ou de protection individuelle, les câbles, les dispositifs médicaux, le transport). Il s’agit, d’autre part, des systèmes d’IA relevant des 8 domaines suivants : (i) les données biométriques, (ii) les infrastructures critiques, (iii) l’éduction et la formation professionnelle, (iii) l’emploi, la gestion des travailleurs et l’accès à l’emploi indépendant, (v) l’accès et la jouissance des services privés essentiels et des services et prestations publics essentiels, (vi) les services répressifs, dans la mesure où leur utilisation est autorisée par le droit de l’Union ou le droit national applicable, (vii) la gestion des migrations, de l’asile et des contrôles aux frontières et (viii) l’administration de la justice et des processus démocratiques. Ces contraintes sont multiples et portent notamment sur le respect de normes harmonisées, de déclaration de conformité, d’enregistrement dans une base de données de l’UE, d’un marquage de conformité, ainsi que sur la mise en place d’une documentation technique permettant notamment de s’assurer du respect des différentes contraintes applicables.

Les moins dangereux sont les systèmes d’IA présentant un « risque limité ». Il s’agit d’une catégorie résiduelle, comprenant l’ensemble des autres systèmes d’IA, qui ne sont ni interdits (risque inacceptable), ni fortement régulés (à haut risque). Sont ainsi visés les systèmes d’IA destinés à interagir directement avec des personnes physiques. Les systèmes d’IA dits à « usage général » font également l’objet d’un traitement particulier. Ces derniers sont ceux qui sont « basés sur un modèle d’IA à usage général, capables de servir à des fins diverses, tant pour une utilisation directe que pour une intégration dans d’autres systèmes d’IA ». Ils sont soumis à des obligations de transparence afin notamment de permettre aux utilisateurs d’être pleinement informés lorsqu’ils interagissent avec un système d’IA. Les contenus générés doivent encore être marqués dans un format lisible par machine et détectables comme étant générés ou manipulés artificiellement. Cette obligation de transparence concerne également le droit d’auteur en ce que les informations requises à ce titre devraient permettre d’obtenir les informations utiles concernant les contenus alimentant les IA génératives.

Le Règlement de l’UE sur l’IA oblige donc chacun, dès à présent, à se préparer.

Comment ?

Notamment en réalisant un audit de ses systèmes d’IA afin d’en évaluer les risques pour, ensuite, selon le niveau de risque identifié, mettre en place le dispositif de conformité adapté. L’élaboration d’un code ou charte de bonne conduite en matière d’IA dans chaque organisation est une première étape à considérer sérieusement. Cela présente un triple avantage : savoir si des systèmes d’IA sont déjà utilisés, encadrer leurs conditions d’utilisation et se préparer aux prochaines échéances qui vont arriver très vite.

  1. MARQUE & GARANTIE D’ÉVICTION : Pour la première fois, la Cour de cassation ajoute une exception à la règle selon laquelle celui qui doit garantie ne peut évincer, « lorsque l’action en déchéance pour déceptivité acquise d’une marque est fondée sur la survenance de faits fautifs postérieurs à la cession et imputables au cessionnaire » (Cour de cassation, com., 28 février 2024, n° 22-23.833).

Les marques entretiennent avec les noms patronymiques des relations étroites, souvent conflictuelles, ainsi que le prouve une nouvelle fois la saga judiciaire « Castelbajac ». Le litige opposait, dans cette affaire, Jean-Charles de Castelbajac à la société PMJC, à l’occasion d’une demande en déchéance pour usage déceptif des marques cédées par le premier à la seconde après le redressement judiciaire de la société de Jean-Charles de Castelbajac dirigée par le premier.

Par cet arrêt du 28 février 2024, la Cour de cassation rappelle que, selon l’article 1628 du code civil, celui que doit garantie ne peut évincer. Il n’est, par conséquent, pas recevable en une action en déchéance pour déceptivité acquise d’une marque qu’il a cédée dès lors que l’action tend à l’éviction de l’acquéreur.

Cantonnée à cette solution, la décision ne mériterait pas d’être signalée si elle n’avait ajouté, pour la première fois, une exception à la règle de recevabilité précitée, posée en ces termes : « il convient en conséquence de juger désormais qu’il est fait exception à la règle énoncée (…) lorsque l’action en déchéance pour déceptivité acquise d’une marque est fondée sur la survenance de faits fautifs postérieurs à la cession et imputables au cessionnaire ». Or en l’occurrence, les faits reprochés portaient sur l’exploitation par la société PMJC des marques cédées de façon à laisser le public croire que le cédant est l’auteur des créations sur lesquelles ces marques sont apposées. Jean-Charles de Castelbajac était donc bel et bien recevable à agir en déchéance à l’encontre de marques qu’il avait lui-même cédées à la société PMJC.

Cependant, la Cour de cassation a décidé ne pas se prononcer, à ce stade, sur le bien-fondé de cette action au fond. Elle a préféré poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) dans les termes suivants : « Les articles 12, paragraphe 2, sous b), de la directive 2008/95/CE du 22 octobre 2008 rapprochant les législations des États membres sur les marques et 20, sous b), de la directive (UE) 2015/2436 du 16 décembre 2015 rapprochant les législations des États membres sur les marques, doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent au prononcé de la déchéance d’une marque constituée du nom de famille d’un créateur en raison de son exploitation postérieure à la cession dans des conditions de nature à faire croire de manière effective au public que ce créateur participe toujours à la création des produits marqués alors que tel n’est plus le cas ? ». Réponse à suivre ; la saga « Castelbajac » est loin d’être finie… 

  1. MARQUE & USAGE DANS LA VIE DES AFFAIRES: Rappel par la Cour de cassation des contours du critère d’utilisation dans la vie des affaires concernant la contrefaçon de marque. Ainsi, la situation du contrefacteur présumé est indifférente lorsque l’utilisation de la marque n’est pas intrinsèquement économique, comme en l’espèce (Cour de cassation, crim., 27 février 2024, n°23-81.563).

En l’espèce, un texte avait été affiché sur un panneau publicitaire privé, sur lequel était reproduit la mention « Les syndicats de police & BFM vous souhaitent un bon enfumage 2019 ». Par ailleurs, la photographie de cette affiche avait été publiée à deux reprises sur la page Facebook du particulier propriétaire du panneau.

Après avoir constaté que l’affiche ainsi que les publications Facebook reproduisaient, sans autorisation, la marque <BFM> dont elle était titulaire, BFM TV a déposé plainte sur le fondement du délit d’usage et de reproduction de marque.

Le juge d’instruction chargé de l’affaire a par la suite rendu une ordonnance de non-lieu concernant cette plainte. La partie civile a alors relevé appel de cette décision, appel rejeté par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence.

Ainsi, l’enjeu pour la Cour de cassation statuant sur cette ordonnance de non-lieu était donc de savoir si l’affiche litigieuse avait fait l’objet d’un usage dans la vie des affaires, sur le fondement de l’article L716-10 du Code de la propriété intellectuelle, qui dispose en substance que la reproduction, l’utilisation, entre autres, d’une marque enregistrée sans autorisation de son titulaire est sanctionnée pénalement.

Citant l’arrêt rendu par la Cour d’appel, les juges rappellent dans la décision rapportée que ces dispositions devaient être interprétées à la lumière de la jurisprudence européenne en la matière, et notamment la décision socle de la CJUE rendue le 12 novembre 2002 dans l’affaire C-206/01, Arsenal Football Club. De ce fait, pour identifier la présence ou l’absence d’un usage dans la vie des affaires, les juges doivent vérifier si l’élément litigieux s’inscrit dans le domaine économique et vise à l’obtention d’un avantage direct ou indirect de nature économique.

La Cour s’est livrée à une analyse in concreto de la situation, et a relevé qu’au cours du mois de décembre 2018, l’affiche litigieuse n’avait été apposée que sur « un seul panneau publicitaire qui est la propriété personnelle de M. [X] » et n’avait fait l’objet que de « deux publications sur la page Facebook de ce dernier ».

Elle en conclut que l’affiche litigieuse n’a été « diffusée que de façon restreinte et pour un temps donné, présente un caractère satirique, ne contient aucune proposition de produit, ne s’inscrit dans aucune activité économique et ne procède d’aucune opération commerciale ».

Reprenant par ailleurs l’argument du demandeur selon lequel l’affiche aurait fait l’objet d’un usage dans la vie des affaires, la Cour rappelle toutefois que si M. [X] était bien inscrit au répertoire SIRENE pour une activité d’agence de publicité, « l’affiche litigieuse elle-même ne relève pas de la vie des affaires, en ce qu’elle ne s’inscrit en rien dans le domaine économique ni ne vise à l’obtention d’un avantage direct ou indirect de nature économique ».

Par conséquent, la Cour retient que l’affiche litigieuse n’a pas fait l’objet d’un usage dans la vie des affaires et approuve l’arrêt d’appel ayant confirmé l’ordonnance de non-lieu, écartant donc le délit d’usage et de reproduction de marque.

  1. MUSIQUE, CINÉMA & DROIT D’AUTEUR : Outre le rappel d’une solution bien connue depuis la jurisprudence « Perrier » selon laquelle le formalisme des cessions de droits d’auteur n’est applicable qu’aux seuls contrats conclus par l’auteur lui-même, la Cour de cassation vient préciser que la synchronisation d’une chanson dans un film ne constitue pas en soi une atteinte au droit moral de l’auteur et des artistes-interprètes (Cour de cassation, 1e, 28 février 2024, n° 22-18.120).

Le litige opposait les auteurs et artistes-interprètes du tube des années 80 « Partenaire particulier », la société productrice du phonogramme et l’éditrice de la chanson à une société et à un producteur du film « Alibi.com » pour avoir repris, sans leur autorisation, deux extraits de cette chanson dans la bande sonore de ce film.

Par cet arrêt, la Cour de cassation rappelle une solution édictée dans son arrêt « Perrier » et désormais bien établie, selon laquelle le formalisme exigé par les articles L. 131-2 et 131-3 du code de la propriété intellectuelle n’est applicable qu’aux cessions conclues par l’auteur lui-même et non aux sous-cessions conclues entre sous-exploitants (1e Civ. 13 octobre 1993, « Perrier »). La règle est rappelée dans les termes suivants par l’arrêt commenté : « Dès lors que ces dispositions régissent les seuls contrats consentis par l’auteur dans l’exercice de son droit d’exploitation et non ceux que peuvent conclure les cessionnaires avec des sous-exploitants, elles sont inapplicables aux rapports de la société Chris Music, cessionnaire du droit d’exploitation, avec la société Musiques & Solutions ». Or en l’occurrence, il résultait des faits analysés par la Cour d’appel que l’autorisation, bien que n’ayant pas fait l’objet d’un contrat signé par le cocontractant des auteurs et des artistes-interprètes, avait bel et bien été donnée aux sous-exploitants avant la distribution du film en salles.

La décision présente un autre intérêt, sur le terrain du droit moral cette fois. Il s’agissait en l’occurrence de déterminer si l’utilisation, sans autorisation spéciale et préalable des auteurs et des artistes interprètes, d’extraits d’une chanson dans une œuvre audiovisuelle porte en elle-même atteinte au droit moral de l’auteur et des artistes interprètes ou si, à l’inverse, la synchronisation, qui se fait nécessairement sous forme d’extraits, ne saurait être regardée par principe comme réalisant une atteinte à l’intégrité de l’œuvre.

La Cour de cassation confirme, à la suite de l’arrêt déféré de la Cour d’appel, la 2e solution en observant que : « après avoir retenu que la société Chris Music avait consenti à l’utilisation d’extraits de la chanson, la cour d’appel a énoncé à bon droit que l’utilisation d’une œuvre musicale par synchronisation dans la bande sonore d’une œuvre audiovisuelle, se faisant nécessairement sous la forme d’extraits, ne saurait être regardée par principe comme réalisant une atteinte à l’intégrité de l’œuvre  et au droit moral de l’auteur ou de l’artiste-interprète protégés par les articles L. 121- 1 et L. 212-2 du code de la propriété intellectuelle, et qu’il incombe à celui qui invoque une telle atteinte d’en justifier ».

  1. DSA & NOUVELLES OBLIGATIONS DES PLATEFORMES EN LIGNE : Le Règlement relatif à un marché unique des Services Numériques ou « RSN », plus connu sous son acronyme anglo-saxon « DSA » (pour Digital Services Act) est entré en application pour tous les opérateurs concernés le 17 février dernier ; il crée une nouvelle catégorie d’opérateurs, les fournisseurs de « plateformes en ligne », sur lesquels pèsent de nouvelles obligations (Règlement UE du Parlement européen et du Conseil n°2022/2065 du 19 octobre 2022 relatif à un marché unique des Services Numériques).

Partant du constat que le régime des prestataires intermédiaires organisé par la Directive du 8 juin 2000 sur le commerce électronique ne suffisait plus à assurer le premier niveau de régulation de l’internet visant à lutter contre les contenus illicites, du fait de l’avènement, il y a une vingt ans, du Web 2, et, aujourd’hui, de celui du Web 3, le Règlement pour les services numériques a créé une nouvelle catégorie d’opérateurs, les « plateformes en ligne ».

Celles-ci sont définies simplement par l’article 3 sous i) du Règlement comme « un service d’hébergement qui, à la demande d’un destinataire du service, stocke et diffuse des informations (…) » (suivent des exceptions visant en substance les cas où un tel service n’est qu’accessoire à un service principal dont la finalité est autre).

Les plateformes en ligne sont donc une catégorie particulière de fournisseurs d’hébergement ; à ce titre, elles sont tenues des obligations incombant à ces derniers. Mais, dans la mesure où elles contribuent à la diffusion de contenus en ligne, au-delà de leur simple stockage, le Règlement leur impose également des obligations complémentaires.

L’idée sous-jacente du texte est de ne pas remettre en cause la jurisprudence de la Cour de Justice de l’UE depuis 2010 (commencée avec les arrêts Google c/ Louis Vuitton Maletier et autres du 23 mars 2010), qui a appliqué la qualification d’hébergeur à tous les grands opérateurs du Web 2 ou presque, tout en imposant à ces « plateformes » des obligations supplémentaires visant à mieux lutter contre les contenus illicites.

Ces règles sont aujourd’hui applicables à tout site web ou application qui permet, à titre principal, à ses utilisateurs de mettre en ligne des contenus (sites d’intermédiation de toutes natures, sites de partages de contenus divers, etc.).

Outre les obligations s’imposant à tout hébergeur, les opérateurs de plateformes en ligne sont tenus des principales obligations suivantes, propres à cette nouvelle qualification :

  • Mettre en place de systèmes internes de traitement des réclamations des utilisateurs à l’égard des décisions prises par eux à l’égard des contenus illicites ou non conformes à leurs conditions générales ;
  • Mettre en place des procédures extrajudiciaires de règlement des litiges et informer les utilisateurs de leur existence ;
  • Adopter des mesures techniques et organisationnelles pour traiter de façon prioritaire et rapide les notifications des signaleurs de confiance (statut créé par le RSN) ;
  • Mettre en place des mesures de lutte contre les utilisations abusives de leur service ;
  • Publier un rapport annuel de transparence décrivant les activités de modération mises en œuvre ;
  • Ne pas concevoir, organiser ou exploiter leurs interfaces en ligne de nature à tromper ou manipuler les utilisateurs du service ;
  • Informer ces utilisateurs sur les paramètres de leurs systèmes de recommandation ;
  • Et, dans le cas où la plateforme permet la conclusion de contrats à distance entre utilisateurs et professionnels :
    • Assurer la traçabilité des professionnels en recueillant auprès d’eux les informations idoines et en les vérifiant ; l’interface doit être conçue et organisée pour permettre à ces derniers de respecter leurs obligations en matière d’informations précontractuelles, de conformité et de sécurité des produits ;
    • Faire leurs meilleurs efforts pour vérifier aléatoirement, après mise en ligne, la licéité des produits ou services proposés ;
    • Informer les utilisateurs sur les produits ou services illégaux proposés via la plateforme.

Au-delà des principaux réseaux sociaux et moteurs de recherche, de nombreux opérateurs en ligne sont concernés. Dans la mesure où le texte est applicable depuis le 17 février 2024, c’est-à-dire depuis un mois, il est grand temps, si ce n’est déjà fait, qu’ils se préoccupent de leur conformité.

  1. SPORT & DONNÉES PERSONNELLES : La CNIL portera en 2024 une attention toute particulière aux traitements de données personnelles opérés par les professionnels du secteur du sport (Communiqués de la CNIL « Les contrôles de la CNIL en 2024 : données des mineurs, Jeux Olympiques, droit d’accès et tickets de caisse dématérialisés »,8 février 2024 et « La collecte de données pour la mesure de la performance physique individuelle des sportifs de haut niveau ou professionnels »,20 février 2024)

Chaque année, la CNIL conduit des contrôles, soit à la suite d’une plainte ou d’un signalement de violations de données, soit de sa propre initiative en lien avec l’actualité ou au regard des thématiques prioritaires qu’elle a définies. Ainsi, en 2024, 30% en moyenne des contrôles qui seront opérés à l’initiative de la CNIL auront pour objet de vérifier la conformité au RGPD (i) du traitement des données des mineurs collectées en ligne, notamment sur les applications et sites les plus prisés par ces derniers, (ii) du traitement des données pour les programmes commerciaux de fidélité et l’envoi des tickets de caisse dématérialisés ainsi que (iii) des conditions de mise en œuvre du droit d’accès prévu par le RGPD.

L’attention de la CNIL portera également sur la collecte des données à l’occasion des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024, dans le cadre notamment des services de billetterie et des dispositifs de sécurité qui seront déployés. Le secteur du sport apparaît d’autant plus au cœur des préoccupations de la CNIL que celle-ci a récemment rappelé les règles à respecter en matière de collecte de données pour la mesure de la performance physique individuelle des sportifs de haut niveau ou professionnels.

Outre le rappel des règles applicables à tout traitement de données personnelles, elle souligne que la collecte d’informations concernant la santé des sportifs (telles que la fréquence cardiaque, le poids, les résultats de tests sanguins, etc.) est en principe interdite, sous réserve des cas limitatifs pour lesquels le RGPD autorise une telle collecte. Or, a priori, seul l’intérêt public pourra fonder une telle autorisation et non le consentement du sportif à la collecte. En effet, il est très probable que ce consentement ne soit pas libre dès lors qu’en cas de refus, le joueur pourrait être écarté de l’évènement sportif par son entraîneur.

  1. SPORT & PROPRIÉTÉS OLYMPIQUES : Le 8 mars 2024 s’est tenu le colloque organisé notamment par la Cour de cassation sur les « Propriétés olympiques », dont les actes seront bientôt publiés aux éditions Dalloz (Colloque Cour de cassation, « Les propriétés olympiques », 8 mars 2024).

Le Centre de droit et d’économie du sport de Limoges (CDES) et le Comité national olympique et sportif français (CNOSF), en partenariat avec la Cour de cassation et le Conseil d’État ont organisé le 8 mars 2024 un colloque sur « Les propriétés olympiques ». Il était organisé sous la coordination scientifique de Jean Pierre Karaquillo, Skander Karaa et Charles Dudognon.

Ce colloque a été notamment l’occasion d’un tour d’horizon complet du régime caractérisant la protection et l’exploitation des propriétés olympiques, en France ou à l’international.

Notre associé Rhadamès Killy est intervenu avec M. le Professeur Jacques de Werra sur une « Approche de droit comparé des propriétés olympiques ».

Le colloque Les vidéos du colloque sont consultables sur le site internet de la Cour de cassation. Les actes du colloque seront publiés aux éditions Dalloz dans les tout prochains jours.

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SPORT & LUTTE CONTRE LE PIRATAGE

SPORT & LUTTE CONTRE LE PIRATAGE : Sur le fondement du nouvel article L.333-10 du code du sport, la société beIN Sports France a obtenu le blocage de 18 sites de streaming retransmettant en direct des compétitions sportives (Tribunal judiciaire, Paris, ord. réf., 20 janvier 2022, n°22/50416, Sté beIN Sports France c/SA Orange et a.)

Cette décision marque la première application de l’article L.333-10 du code du sport, introduit par la loi n°2021-1382 du 25 octobre 2021 relative à la régulation et à la protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique. Il résulte de ce nouvel article la possibilité pour le titulaire de droits d’exploitation audiovisuelle d’une compétition ou d’une manifestation sportive de saisir le président du tribunal judiciaire statuant selon la procédure accélérée au fond ou en référé afin d’obtenir toutes mesures proportionnées propres à prévenir ou à faire cesser une atteinte grave et réitérée à ses droits par une plateforme en ligne.

En l’espèce, et après avoir constaté l’existence d’atteintes graves et répétées aux droits exclusifs détenus par beIN notamment sur les droits d’exploitation audiovisuelle de la Coupe d’Afrique des Nations, lesquelles ont été commises par 18 sites dont l’objectif principal est la diffusion sans autorisation de compétitions sportives, le Tribunal judiciaire de Paris a enjoint aux fournisseurs d’accès à internet de mettre en œuvre, au plus tard dans un délai de trois jours suivant la signification de la décision, toutes mesures propres à empêcher, et ce jusqu’à la fin du dernier match de la Coupe d’Afrique des Nations 2021, l’accès auxdits sites.

Les fournisseurs d’accès à internet assignés par beIN ne s’opposaient pas à la mesure de blocage sollicitée par l’entreprise de communication audiovisuelle mais demandaient, entre autres, à ce (i) qu’un délai minimum de trois jours leur soit accordé pour la mise en œuvre d’une telle mesure et (ii) que les coûts de ladite mesure ne soit pas laissés entièrement à leur charge. Sur ces deux points, le tribunal a répondu favorablement à leurs demandes. Selon ce dernier, il résulte du paragraphe IV de l’article L.333-10 précité – lequel prévoit la conclusion prochaine d’un accord entre les titulaires de droits et les fournisseurs d’accès à internet, placé sous l’égide de l’ARCOM, précisant notamment la répartition du coût des mesures ordonnées – que le législateur a entendu partager pareils coûts entre les acteurs en présence. Concernant la répartition précise de ces coûts, le tribunal s’est contenté de renvoyer à la conclusion de l’accord tel que prévu par le législateur, avec l’ARCOM pour arbitre.

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