Dans la seconde affaire « Koons », opposant le célèbre artiste plastique américain à M. Davidovici, auteur de la photographie d’une affiche de publicité pour la marque Naf-Naf datant du mitan des années 80, la Cour d’appel de Paris a jugé, à l’instar des premiers juges, que la sculpture de Koons intitulée « Fait d’hiver » constituait une contrefaçon de ladite photographie, dont elle reprenait des éléments originaux, en écartant, pour cela, l’argument tiré de la liberté d’expression de l’artiste. L’intérêt de l’arrêt réside moins dans sa solution que dans le raisonnement suivi par les magistrats, qui se montrent plus rigoureux que leurs prédécesseurs dans l’application de l’article 10 de la Convention Européenne de sauvegarde des droits de l’homme (Cour d’appel de Paris, Pôle 5, Ch. 1, 23 février 2021).
Jeff Koons soutenait, sur le fondement de l’article 10 de la Convention EDH, que la liberté de création justifiait qu’il se passât de l’autorisation de M. Davidovici pour reprendre des éléments de sa photographie aux fins de sa démarche artistique dite « appropriationniste », visant, via le détournement d’œuvres existantes, à la démocratisation de l’art et à la déculpabilisation des spectateurs.
La Cour d’appel, après avoir constaté que la protection du droit d’auteur est prévue par la loi, condition première de la validité de toute restriction à la liberté d’expression selon l’article 10, §2 de la convention EDH (condition de licéité), oublie quelque peu, jusqu’à la conclusion de son raisonnement, les deux autres conditions posées par ce texte (à savoir l’exigence de légitimité du but poursuivi par la restriction et de sa proportionnalité à ce but). Elle observe, en revanche, que selon la jurisprudence de la CEDH, la liberté d’expression est « dotée d’une force plus ou moins grande » selon la nature du discours de celui qui l’invoque : discours politique, d’intérêt général ou simplement commercial.
Or, remarque-t-elle d’abord, si le discours artistique de J. Koons relève bien de la liberté d’expression, il n’est pas de nature politique ni ne relève de l’intérêt général. Il n’est d’ailleurs pas exempt d’une dimension commerciale.
Ensuite, la Cour considère que la photographie du demandeur « n’est pas familière du public », en sorte que celui-ci ne perçoit pas la démarche transformative revendiquée par Koons – ce qui, à notre avis, constitue un argument inopérant.
Enfin, elle estime que rien n’empêchait J. Koons de solliciter l’autorisation préalable de M. Davidovici, relevant au passage que le droit d’auteur a (notamment) pour finalité de permettre à chaque créateur de percevoir une rémunération en contrepartie de l’autorisation d’exploiter son œuvre. Elle en conclut que l’atteinte à la liberté d’expression de Jeff Koons, résultant du respect du droit d’auteur du photographe, est proportionnée et nécessaire.
Quoi qu’elliptique, la fin de ce raisonnement est correcte : en l’espèce, la préservation de la finalité du droit d’auteur, ou de son « objet spécifique », pour employer la terminologie de la Cour de Justice, justifie une restriction à la liberté d’expression de Jeff Koons, qui est proportionnée notamment car, eu égard à la nature du « discours » de ce dernier, elle laisse intacte la « substance même » de cette liberté d’expression. Autrement dit, la nécessité d’obtenir l’autorisation préalable du photographe n’empêchait pas J. Koons de créer librement sa sculpture et ainsi ne causait pas une atteinte disproportionnée à sa liberté d’expression.