Xavier Près a répondu aux question du Journal des Arts sur les conditions, conséquences et exemples de révocation de donations dans le secteur culturel
L’article de Sindbad Hammache a été publié le 10 décembre 2021, il est à lire dans le Journal des Arts et notamment sur le site de JDA
L’intégralité de l’entretien a également été publié ; il est à lire ici ou ci-dessous.
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Question : Quelles sont les conséquences juridiques de la non-exécution des charges d’une donation ? Une donation peut-elle être révoquée pour ce motif ?
Oui, une donation (libéralité entre vifs) peut être révoquée en cas de non-respect des charges et conditions (art. 953 du code civil). Il faut toutefois que la charge qui n’a pas été exécutée constitue un élément déterminant (la « cause impulsive et déterminante ») de la volonté du donateur et que l’inexécution soit suffisamment grave pour justifier une telle issue. Cette inexécution peut résulter d’une faute du donataire, ce qui facilitera alors la révocation. Mais l’inexécution peut également être non fautive, la faute du donataire n’étant pas une condition de la révocation. De nombreuses révocations ont ainsi été prononcées au début du siècle dernier à l’encontre de personnes publiques qui avaient reçu des donations à charge de rémunérer des actes cultuels qu’elles ne pouvaient toutefois plus exécutées après un changement de législation (i.e. la promulgation des lois dites « laïques » de 1901 et 1905). Les ayants droit d’un donateur ont également obtenu la révocation d’une donation après avoir fait constater que la commune d’Arcon qui avait reçu un immeuble à charge de l’affecter à une école n’a plus pu exécuter la charge après la fermeture de l’école sur décision administrative, faute d’enfant à scolariser (Cour de cassation, 1er civ. 6 avril 1994 92-12.844).
Les conséquences de la révocation sont graves. Car le donataire est alors tenu de restituer le bien donné dans l’état dans lequel le bien se trouvait « au jour de la donation ». La révocation a un effet rétroactif. Le donataire peut également devoir rembourser le donateur ou ses ayants droit des dépenses que nécessiterait la remise du bien en cet état. Il peut également être condamné à réparer le préjudice qui aurait été causé au donateur. La révocation étant rétroactive, le donataire est censé n’avoir jamais été propriétaire du bien donné. De sorte que la révocation n’est pas non plus sans conséquence pour le donateur ou ses ayants droit qui peuvent devoir indemniser le donataire des dépenses nécessaires engagées sur ce dernier sur le bien qui lui avait été initialement donné.
Les mêmes solutions sont applicables au legs (libéralité pour cause de mort), le code civil renvoyant pour leur révocation aux dispositions applicables aux donations entre vifs (article 1046 du code civil).
Question : Les éléments invoqués par le duc d’Aumale (modification du pavillon d’Enghien) vous semblent-ils assez solides pour aboutir à une révocation ?
C’est difficile à dire car il faut se méfier de ce qui se dit de loin. Seule l’analyse des éléments en présence permettrait de se faire une idée précise du risque de révocation. Et ce n’est pas une réserve de style car, d’expérience, un procès se gagne sur les pièces, sur les détails. La donation est de surcroit ancien : la donation date des 25 octobre et 29 décembre 1886 ; elle a fait l’objet d’un décret d’autorisation le 20 décembre 1886, soit 10 ans avant la mort du duc d’Aumale. Aucune prescription ne devrait toutefois pouvoir être opposée, celle-ci étant en matière immobilière, ainsi que c’est le cas ici (pavillon d’Enghien), de 30 ans mais à compter du jour où celui qui agit a connu ou aurait dû connaitre les faits litigieux.
Cela dit le risque est réel, les exemples de révocation n’étant pas si rares. Le duc d’Aumale a d’ailleurs pris soin de préciser expressément que dans une « Stipulation finale » que ; « Dans le cas où, pour une cause quelconque et à quelque époque que ce soit, l’Institut ne remplirait pas, ou serait empêché de remplir l’une ou l’autre des conditions ci-dessus établies, la présente donation sera révoquée et le donateur ou ses héritiers recouvreront immédiatement la pleine propriété de tous les immeubles et objets mobiliers qui y sont compris ».
Ses ayants droit devront toutefois rapporter la preuve que la charge a bel et bien été stipulée, qu’il s’agissait d’un élément déterminant du consentement du donateur et qu’elle n’a pas été exécutée. C’est en effet sur eux que pèse la charge de la preuve. Ces éléments devront être rapportés devant le juge judiciaire, seul compétent pour prononcer la révocation d’une libéralité, y compris s’agissant de personnes publiques, ainsi que c’est le cas de l’Institut de France. Les ayants droit devront encore établir qu’ils viennent effectivement aux droits du duc d’Aumale. Précisons encore, ce qui n’est pas anodin ici, que les juges tiennent habituellement compte du comportement du donateur ou de ses ayants droit : ont-ils accepté des aménagements au regard des charges initialement prévues ? Et ajoutons enfin que les juges s’attachent souvent à préserver la volonté du donateur, spécialement lorsque les contestations émanent d’héritiers lointains dont les motivations ne sont pas toujours en adéquation avec les souhaits du donateur.
Question : Avez-vous connaissance de cas dans la jurisprudence où une donation à une institution culturelle ou philanthropique aurait été révoquée ?
Le contentieux portant sur la révocation de libéralités (dons ou legs) est abondant. D’une part parce que les textes qui régissent la matière sont anciens : ils datent de l’élaboration du code civil en 1804 et ont été peu modifiés depuis, de sorte que les décisions les plus anciennes restent encore utiles aujourd’hui. Et d’autre part, parce que les charges grevant une donation sont fréquentes et souvent minutieusement détaillées, laissant ainsi place aux contestations, voire à la chicane, spécialement lorsque ce sont les héritiers qui cherchent à remettre en cause la libéralité. Dans le secteur culturel, il est ainsi très fréquent que la donation soit accompagnée de charges très précises portant par exemple sur les conditions d’exposition des œuvres, leur conservation, leur présentation au public (et non en réserves), l’interdiction de toute revente ou dispersion des œuvres, voire la désignation d’une salle au nom du généreux donateur ou encore la désignation d’une personne comme conservateur.
Il existe des cas bien connus de demande de révocation. Les demandes de révocation sont au demeurant plus nombreuses que les cas de révocation. D’abord parce que les accords amiables sont fréquents. Ensuite parce qu’il est possible de solliciter une révision des charges lorsque leur exécution devient extrêmement difficile par suite d’un changement de circonstances. Et enfin parce que les demandes émanent souvent d’héritiers lointains dont les motivations ne sont pas toujours alignées avec celles du donateur ou ses ayants droit immédiats. L’on pense par exemple à la demande du petit-fils Delaunay qui réclama en vain en 1996 la révocation de la donation Delaunay au Musée Pompidou aux motifs que les œuvres n’étaient pas toujours exposées ni regroupées dans une salle dédiée alors que de leur vivant, Sonia Delaunay et son fils, avaient acceptées ces aménagements.
Il n’est pas rare non plus que les juges s’attachent davantage à l’esprit qu’à la lettre de l’acte constant la libéralité afin de préserver cette dernière, notamment lorsqu’il s’agit d’éviter les risques de dispersion qui iraient à l’encontre de la volonté du donateur. Ainsi d’un arrêt de la Cour de cassation qui a approuvé une cour d’appel qui avait retenu que les solutions proposées par la ville de Poitiers n’étaient qu’une adaptation des charges de la libéralité aux réalités actuelles, que l’intention du testateur serait respectée puisque l’immeuble légué serait conservé à la disposition du public et que les pièces, qui n’y seraient pas maintenues, seraient exposées avec la mention “legs de x…”, de sorte que les aménagements réalisés n’avaient pas dénaturé le testament, mais avaient au contraire permis la réalisation des dispositions qui y étaient contenues (Cour de Cassation, Chambre civile 1, du 24 janvier 1979, 76-13.049). Il est donc possible de s’éloigner de la lettre de l’acte contenant la libéralité pour mieux en préserver l’esprit.
A l’inverse, les ayants droit de l’artiste Hantaï ont récemment obtenu la révocation d’une donation portant sur quatorze de ses œuvres après avoir constaté que l’une d’elles avait été vendue aux enchères alors qu’il avait été clairement précisé que « ces œuvres ne pourront en aucun cas être revendues et qu’elles ne pourront être utilisées que pour des accrochages ou des expositions à caractère non commercial et non publicitaire » (Cour de cassation, 1 civ., 16 janvier 2019, 18-10.603).
Autre exemple : par un arrêt du 21 mars 2006, la Cour d’appel de Toulouse a confirmé la révocation d’un legs d’un ensemble immobilier (château, ferme, terres ) à la commune de Gaillac « pour qu’il y soit fait une maison de retraite pour les personnes âgées du canton, ou même une colonie de vacances » au motif que le lieu était utilisé comme « résidence pour artistes contemporains avec lieu de travail et d’exposition pour de tels artistes », ce qui ne correspondait pas à la notion de « colonies de vacances » (CA Toulouse, 21 mars 2006, RG 306).
Deux derniers exemples : la ville de Bordeaux a perdu la propriété de la collection entière du peintre Gabriel Domergue, faute d’avoir respecté la charge consistant à créer un lieu d’accueil spécifique de cette collection (Cour de cassation, civ. 2, 14 septembre 2006, n° 04.20.398). Et enfin, autre exemple connu, celui de la ville de Paris qui a également perdu la propriété d’un immeuble et d’une collection d’œuvres d’art pour n’avoir pas exécuté la charge consistant à installer dans l’immeuble un musée au nom de l’époux de la testatrice, les œuvres ayant été stockées dans la cave (TGI Paris, 1e ch., 23 mars 1994).