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Au sommaire :
1. ART, DROIT D’AUTEUR & LIBERTÉ D’EXPRESSION : Dans la seconde affaire « Koons », opposant le célèbre artiste plastique américain à M. Davidovici, auteur de la photographie d’une affiche de publicité pour la marque Naf-Naf datant du mitan des années 80, la Cour d’appel de Paris a jugé, à l’instar des premiers juges, que la sculpture de Koons intitulée « Fait d’hiver » constituait une contrefaçon de ladite photographie, dont elle reprenait des éléments originaux, en écartant, pour cela, l’argument tiré de la liberté d’expression de l’artiste. L’intérêt de l’arrêt réside moins dans sa solution que dans le raisonnement suivi par les magistrats, qui se montrent plus rigoureux que leurs prédécesseurs dans l’application de l’article 10 de la Convention Européenne de sauvegarde des droits de l’homme (Cour d’appel de Paris, Pôle 5, Ch. 1, 23 février 2021).
2. DROIT D’AUTEUR ET PREUVE DE L’ORIGINALITÉ : Le rapport de mission au CSPLA sur « la preuve de l’originalité », par Me Jose-Anne Bénazéraf et Mme Valérie Barthez (décembre 2020), tente de comprendre et de résoudre les difficultés suscitées par la règle jurisprudentielle selon laquelle incombe au demandeur à l’action en contrefaçon la charge de prouver, pour chaque œuvre dont il invoque la protection, qu’elle répond à la condition d’originalité, à laquelle est subordonnée, précisément, sa protection par le droit d’auteur.
3. ÉDITION & ŒUVRE COLLECTIVE : En raison de son régime dérogatoire du droit commun du droit d’auteur, l’œuvre collective est souvent sollicitée par les entreprises. Son application suppose toutefois que plusieurs conditions soient réunies. Celles-ci sont précisément détaillées dans cette décision portant sur le livre de cuisine « Ladurée Salé » (Cour d’appel de Versailles, 1e ch., 1e section, 2 mars 2021, RG n° 18/08237)
4. PHOTOGRAPHIES & DROIT D’AUTEUR : L’éditeur d’un journal doit obtenir l’autorisation du photographe pour mettre en ligne les photographies contenues dans des articles de presse et ne peut invoquer le bénéfice du régime de l’œuvre collective (Cour d’appel de Paris, pôle 5, ch. 1, 23 février 2021, RG n° 19/20285)
5. ART & VENTE AUX ENCHÈRES PUBLIQUES : L’absence de participation matérielle d’un artiste à la réalisation d’une œuvre n’exclut pas que la paternité puisse lui en être attribuée, dès lors que l’œuvre a été exécutée selon ses instructions et sous son contrôle (Cour de Cassation, civ. 1, 6 janvier 2021, n° 19-14.205)
6. MARQUES & FRAUDE : La détermination du caractère frauduleux d’un dépôt de marques n’est pas aisée à établir, y compris pour… les juridictions (Tribunal judiciaire de Paris, 3e ch., 3e section, 18 décembre 2020, RG n° 19/00374)
7. DÉNOMINATION D’UN GROUPE MUSICAL & DROIT D’USAGE : La dénomination d’un groupe de musiciens, propriété indivise de ceux-ci, appartient, après scission du groupe, à celle des formations qui a assuré, à compter de cette scission, la permanence du projet artistique (Cour d’appel de Paris, pôle 5, ch. 1, 19 janvier 2021, RG n° 18/07991)
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1. ART, DROIT D’AUTEUR & LIBERTÉ D’EXPRESSION : les juges français à la recherche des critères de la balance des intérêts. Dans la seconde affaire « Koons », opposant le célèbre artiste plastique américain à M. Davidovici, auteur de la photographie d’une affiche de publicité pour la marque Naf-Naf datant du mitan des années 80, la Cour d’appel de Paris a jugé, à l’instar des premiers juges, que la sculpture de Koons intitulée « Fait d’hiver » constituait une contrefaçon de ladite photographie, dont elle reprenait des éléments originaux, en écartant, pour cela, l’argument tiré de la liberté d’expression de l’artiste. L’intérêt de l’arrêt réside moins dans sa solution que dans le raisonnement suivi par les magistrats, qui se montrent plus rigoureux que leurs prédécesseurs dans l’application de l’article 10 de la Convention Européenne de sauvegarde des droits de l’homme (Cour d’appel de Paris, Pôle 5, Ch. 1, 23 février 2021).
Jeff Koons soutenait, sur le fondement de l’article 10 de la Convention EDH, que la liberté de création justifiait qu’il se passât de l’autorisation de M. Davidovici pour reprendre des éléments de sa photographie aux fins de sa démarche artistique dite « appropriationniste », visant, via le détournement d’œuvres existantes, à la démocratisation de l’art et à la déculpabilisation des spectateurs.
La Cour d’appel, après avoir constaté que la protection du droit d’auteur est prévue par la loi, condition première de la validité de toute restriction à la liberté d’expression selon l’article 10, §2 de la convention EDH (condition de licéité), oublie quelque peu, jusqu’à la conclusion de son raisonnement, les deux autres conditions posées par ce texte (à savoir l’exigence de légitimité du but poursuivi par la restriction et de sa proportionnalité à ce but). Elle observe, en revanche, que selon la jurisprudence de la CEDH, la liberté d’expression est « dotée d’une force plus ou moins grande » selon la nature du discours de celui qui l’invoque : discours politique, d’intérêt général ou simplement commercial.
Or, remarque-t-elle d’abord, si le discours artistique de J. Koons relève bien de la liberté d’expression, il n’est pas de nature politique ni ne relève de l’intérêt général. Il n’est d’ailleurs pas exempt d’une dimension commerciale.
Ensuite, la Cour considère que la photographie du demandeur « n’est pas familière du public », en sorte que celui-ci ne perçoit pas la démarche transformative revendiquée par Koons – ce qui, à notre avis, constitue un argument inopérant.
Enfin, elle estime que rien n’empêchait J. Koons de solliciter l’autorisation préalable de M. Davidovici, relevant au passage que le droit d’auteur a (notamment) pour finalité de permettre à chaque créateur de percevoir une rémunération en contrepartie de l’autorisation d’exploiter son œuvre. Elle en conclut que l’atteinte à la liberté d’expression de Jeff Koons, résultant du respect du droit d’auteur du photographe, est proportionnée et nécessaire.
Quoi qu’elliptique, la fin de ce raisonnement est correcte : en l’espèce, la préservation de la finalité du droit d’auteur, ou de son « objet spécifique », pour employer la terminologie de la Cour de Justice, justifie une restriction à la liberté d’expression de Jeff Koons, qui est proportionnée notamment car, eu égard à la nature du « discours » de ce dernier, elle laisse intacte la « substance même » de cette liberté d’expression. Autrement dit, la nécessité d’obtenir l’autorisation préalable du photographe n’empêchait pas J. Koons de créer librement sa sculpture et ainsi ne causait pas une atteinte disproportionnée à sa liberté d’expression.
2. DROIT D’AUTEUR ET PREUVE DE L’ORIGINALITÉ : rapport de mission au CSPLA sur « la preuve de l’originalité », par Me Jose-Anne Bénazéraf et Mme Valérie Barthez (décembre 2020). Ce rapport tente de comprendre et de résoudre les difficultés suscitées par la règle jurisprudentielle selon laquelle incombe au demandeur à l’action en contrefaçon la charge de prouver, pour chaque œuvre dont il invoque la protection, qu’elle répond à la condition d’originalité, à laquelle est subordonnée, précisément, sa protection par le droit d’auteur.
Après avoir retracé l’origine de cette règle jurisprudentielle, somme toute assez récente, le rapport identifie les principales difficultés qu’elle pose : d’une part, la notion d’originalité, pourtant condition incontestable de la protection par le droit d’auteur, reste insaisissable ; d’autre part, l’essor de la contrefaçon de masse rend l’obligation de prouver l’originalité de chaque œuvre particulièrement lourde, et paradoxalement d’autant plus difficile à remplir que le nombre d’œuvres contrefaites est important.
Pour y remédier, le rapport invite d’abord à un assouplissement de la jurisprudence, d’une part quant à l’exigence d’établir l’originalité œuvre par œuvre, et d’autre part quant à la charge de la preuve, qui pourrait peser pour partie sur le défendeur, dans le respect des principes du droit de la preuve.
Faisant néanmoins le constat que la réalisation d’une telle inflexion jurisprudentielle est incertaine, le rapport propose enfin, dans la même logique, une intervention législative qui consisterait à ajouter un alinéa à l’article L. 112-1 du code de la propriété intellectuelle. Ce texte disposerait en substance qu’il appartient au défendeur contestant l’originalité d’établir que « son existence est affectée d’un doute sérieux », à charge pour le demandeur, « en présence d’une contestation ainsi motivée », « d’identifier ce qui caractérise » cette originalité. Une telle évolution permettrait d’éviter que certains contrefacteurs échappent à bon compte à la condamnation du fait de la difficulté matérielle, pour le titulaire du droit d’auteur, à justifier ab initio de l’originalité de nombreuses œuvres contrefaites. Pour cette raison, il serait souhaitable que le législateur la fasse sienne.
3. ÉDITION & ŒUVRE COLLECTIVE : Les ingrédients de la recette de l’œuvre collective. En raison de son régime dérogatoire du droit commun du droit d’auteur, l’œuvre collective est souvent sollicitée par les entreprises. Son application suppose toutefois que plusieurs conditions soient réunies. Celles-ci sont précisément détaillées dans cette décision portant sur le livre de cuisine « Ladurée Salé » (Cour d’appel de Versailles, 1e ch., 1e section, 2 mars 2021, RG n° 18/08237)
L’œuvre collective obéit à un régime particulier, dérogatoire du droit commun du droit d’auteur, particulièrement attractif pour la personne, physique ou morale, qui en a pris l’initiative, la direction et qui la publie sous son nom. La qualification d’œuvre collective présente en effet deux intérêts majeurs : elle permet d’abord aux personnes morales d’être titulaires ab initio des droits d’auteur par dérogation au principe selon lequel la qualité d’auteur n’est reconnue qu’aux seules personnes physiques ; elle autorise ensuite à rémunérer les auteurs sur la base d’un forfait par exception au principe de la rémunération proportionnelle assise sur le prix public de vente hors taxes.
En pratique, la qualification d’œuvre collective n’est pas toujours aisée. L’arrêt de la cour d’appel de Versailles du 2 mars 2021 est à cet égard intéressant car sa motivation permet d’en bien saisir les conditions.
A l’occasion de ce litige portant sur un livre de cuisine intitulé « Ladurée Salé », la Cour d’appel de Versailles a en effet appliqué au cas d’espèce chacune des conditions de l’œuvre collective en des termes qui méritent d’être reproduits in extenso et de manière linéaire :
– Initiative et direction : « Il en résulte que l’œuvre a été créée à l’initiative de la société Ladurée qui a contrôlé toutes les étapes du processus de création, de sa conception à sa réalisation, ainsi que la phase d’exploitation.
– Fusion des contributions : La contribution incontestable de M. X à l’élaboration de l’ouvrage Ladurée Salé, inhérente aux attributions de son contrat de travail, liée à ses compétences culinaires reconnues et à son savoir-faire technique, s’est fondue dans l’ensemble de l’activité d’une équipe composée de personnes salariées de la société Ladurée et de personnes indépendantes,
– Instructions et directives : [et ce ] sous la maîtrise d’œuvre de Mme A responsable éditoriale des éditions du Chêne, qui a construit l’ouvrage, en donnant des directives et en animant les équipes réunies à cette fin, selon un cadre prédéfini par la société Ladurée, initiatrice et investisseur de celui-ci, qui a conservé tout au long du processus d’élaboration, son pouvoir décisionnaire, notamment exercé par l’intermédiaire de Mme B, directrice de la communication image et marketing, destinataire finale de la demande d’accord préalable sur le bon à tirer de l’ouvrage ».
– Et d’ajouter s’agissant de la fusion des contributions (bis) et de l’exclusion de la qualification d’œuvre de collaboration : « La fusion des diverses contributions, mêmes si elles s’avèrent parfois identifiables, a tendu à composer un ensemble conçu et voulu dès l’origine par la société Ladurée comme le pendant du premier ouvrage élaboré dans les mêmes conditions, sans que M. X démontre qu’il est le fruit d’un travail créatif concerté conduit en commun par plusieurs auteurs ».
4. PHOTOGRAPHIES & DROIT D’AUTEUR : La numérisation, même à titre d’archives, de photographies est soumise à autorisation. L’éditeur d’un journal doit obtenir l’autorisation du photographe pour mettre en ligne les photographies contenues dans des articles de presse et ne peut invoquer le bénéfice du régime de l’œuvre collective (Cour d’appel de Paris, pôle 5, ch. 1, 23 février 2021, RG n° 19/20285)
A l’origine de cette affaire, une société a intégralement numérisé et mis en ligne les articles des journaux qu’elle édite et les photographies illustrant ces articles, initialement publiés sous format papier. L’auteur de certaines de ces photographies, qui n’avait pas cédé expressément à la société ses droits de reproduction et de représentation desdites photographies sous format numérique, a assigné cette dernière en contrefaçon de ses droits d’auteur.
Saisie, sur renvoi après cassation, la Cour d’appel de Paris retient, tout d’abord, que les 453 photographies en cause sont protégeables par le droit d’auteur et ce, à l’issue d’une appréciation de l’originalité par catégories de photographies présentant des caractéristiques semblables, témoignant ainsi de l’émergence d’un assouplissement de l’exigence d’une démonstration œuvre par œuvre.
Refusant ensuite d’appliquer, au bénéfice de la société, le régime de l’œuvre collective à l’égard des articles (composés des textes et des photographies) litigieux, la Cour juge enfin que la reproduction des photographies sous format numérique, sans l’autorisation exprès du photographe, porte atteinte à son droit patrimonial d’auteur et que la fonction permettant le téléchargement desdites photographies sans la mention du nom du photographe constitue une violation de son droit moral. Le processus d’archivage numérique de documents contenant des photographies n’est donc pas exempt du respect des règles du droit d’auteur.
5. ART & VENTE AUX ENCHÈRES PUBLIQUES : La Cour de cassation met un terme à la bataille judiciaire portant sur l’attribution à Georges Braque d’une sculpture réalisée à partir d’un original de Heger de Löwenfeld. L’absence de participation matérielle d’un artiste à la réalisation d’une œuvre n’exclut pas que la paternité́ puisse lui en être attribuée, dès lors que l’œuvre a été exécutée selon ses instructions et sous son contrôle (Cour de Cassation, civ. 1, 6 janvier 2021, n° 19-14.205)
La décision de la Cour de cassation du 6 janvier 2021 met fin à une importante séquence jurisprudentielle au cours de laquelle plusieurs décisions ont été rendues.
Le litige concernait une sculpture achetée lors d’une vente aux enchères publique. L’acheteur sollicitait la nullité de la vente sur la base d’une d’expertise attribuant en définitive la paternité de la sculpture à Heger de Löwenfeld et non au peintre Georges Braque. A l’en croire, son consentement sur les qualités substantielles de l’œuvre aurait donc été vicié. D’abord annulée par arrêt du 26 janvier 2016 la Cour d’appel de Paris, la vente a ensuite été validée par la Cour d’appel de Paris par arrêt du 27 février 2018 intervenant après cassation (Cour de cassation 11 mai 2017). C’est cette décision qui a été confirmée par la Cour de cassation dans l’arrêt commenté, lequel met fin au litige, le pourvoi formé par l’acquéreur qui contestait la vente ayant été rejeté.
De prime abord, la décision de la Cour de cassation ne soulève aucune difficulté particulière. Elle observe en effet que la cour d’appel a énoncé́ à bon droit que :
– « la constatation de l’absence de participation matérielle de Georges Braque à la réalisation de la sculpture intitulée “Hermes 1963”, qui avait servi de modèle à la sculpture litigieuse, n’excluait pas que la paternité puisse lui en être attribuée, dès lors que l’œuvre avait été exécutée selon ses instructions et sous son contrôle »,
– « l’œuvre Hermes 1963 avait été réalisée dans le respect des dispositions prévues par le contrat du 6 juin 1962 et exposée en 1963, du vivant de Georges Braque et avec son consentement, justifiant ainsi qu’il en avait contrôlé la réalisation »,
– « la sculpture acquise était conforme à la présentation faite par le catalogue de la vente aux enchères, lequel précisait qu’il s’agissait d’une fonte posthume, et que l’apposition de la signature de Georges Braque respectait les dispositions de la convention du 6 juin 1962 et ne pouvait être qualifiée de simple imitation » de sorte que l’acquéreur ne justifiait pas avoir été trompé ni avoir commis une erreur de nature à vicier son consentement ».
Alors pourquoi cette bataille judiciaire ?
Sans doute à raison des conditions très spécifiques de réalisation de l’œuvre dont la vente était contestée. La complexité de l’affaire ne peut en effet être parfaitement saisie si l’on ne précise pas que l’exemplaire vendu résultait de fontes posthumes réalisées après la mort de Heger de Löwenfeld à partir de la sculpture « Hermès 1963 » tirée d’une gouache réalisée par Löwenfeld sur la base d’œuvres de Georges Braque, et ce sous le contrôle étroit et avec l’accord de ce dernier. Georges Braque avait en effet autorisé par convention Heger de Loewenfeld à reproduire certaines de ses œuvres en trois dimensions et à y apposer sa signature, sous réserve du respect des conditions suivantes : les œuvres destinées à être reproduites devaient être reprises en maquette ou en dessin d’atelier par Heger de Loewenfeld ; ces derniers devaient être signés par le peintre et chaque œuvre devait en principe être reproduite en un seul exemplaire. En l’occurrence c’est parce qu’il a été établi que ces conditions avaient été respectées et que le catalogue de vente aux enchères faisait référence à cet accord que la vente a été considérée comme parfaitement valable. Mieux vaut donc bien se renseigner avant d’acheter une œuvre d’art et si l’on veut solliciter la nullité d’une vente s’assurer que son consentement ne pouvait pas être éclairé notamment par les mentions portées dans le catalogue de vente.
6. MARQUES & FRAUDE : Des dépôts de marques (pas si) frauduleux ? La détermination du caractère frauduleux d’un dépôt de marques n’est pas aisée à établir, y compris pour… les juridictions (Tribunal judiciaire de Paris, 3e ch., 3e section, 18 décembre 2020, RG n° 19/00374)
Le litige opposait deux fédérations françaises : la Fédération Française de Cyclisme (FFC) et la Fédération Française de Motocyclisme (FFM). La première reprochait à la seconde le dépôt de plusieurs marques françaises dont les signes étaient constitués de plusieurs éléments, dont les termes VTTAE, E-BIKE et E-VTT, désignant, par abréviations, des cycles à propulsion ou assistance électrique (« AE » pour « assistance électrique » et « E » pour « électrique »).
Selon la FFC les marques litigieuses auraient été déposées par la FFM en fraude de ses droits, dans le but notamment de la priver de signes nécessaires à son activité de fédération sportive délégataire. La FFC sollicitait, par voie de conséquence, pour certaines marques leur transfert à son profit et pour d’autres l’annulation de leur enregistrement.
Pour comprendre l’intérêt et les enjeux de la décision, il faut préciser qu’en application des dispositions du code du sport, une fédération sportive doit recevoir délégation du ministre chargé des sports pour bénéficier d’un monopole de droit pour l’organisation des compétitions liées à la discipline objet de la délégation. Or à la date des dépôts litigieux, aucune délégation relative au cycle à assistance électrique n’avait été octroyée, ni à la FFC ni à la FFM. Comment dès lors caractériser l’existence d’une fraude ?
Cette difficulté n’a toutefois pas arrêté le tribunal judiciaire de Paris. Par la décision commentée du 18 décembre 2020, il a en effet considéré frauduleux les 38 dépôts des marques comportant les termes VTTAE, E-BIKE et E-VTT par la FFM et ce malgré l’absence de délégation du ministre des sports pour désigner la fédération sportive compétente en matière de cycles à assistance électrique. Il a en conséquence ordonné le transfert de 23 marques au profit de la FFC et a prononcé la nullité des 15 autres marques déposées par la FFM, faisant ainsi application du principe de la liberté de choix laissée à la victime de la fraude entre la nullité ou le transfert en pleine propriété des marques contestées (Cour de cassation, com., 1er juin 1999).
En l’espèce, le Tribunal semble avoir été convaincu du caractère frauduleux des dépôts contestés aux motifs que la FFM ne pouvait ignorer le risque de ne pas être la fédération délégataire en charge des cycles à propulsion électrique et que, malgré ce risque, elle a pris la décision de déposer plusieurs marques en lien avec cette nouvelle discipline et ce, sans pour autant les exploiter. La décision n’est donc pas à l’abri de la critique. Un appel a d’ailleurs été formé à l’encontre de la décision. Dans l’attente de l’arrêt d’appel et pour plus de détails, il est renvoyé à notre article : « Marques de la Fédération Française de Motocyclisme comportant les termes VTTAE, E-BIKE et E-VTT: des dépôts (pas si) frauduleux ? », RLDI, février 2021, par X. Près.
7. DÉNOMINATION D’UN GROUPE MUSICAL & DROIT D’USAGE : L’usage de l’appellation « Gipsy Kings » à nouveau contesté. La dénomination d’un groupe de musiciens, propriété indivise de ceux-ci, appartient, après scission du groupe, à celle des formations qui a assuré, à compter de cette scission, la permanence du projet artistique (Cour d’appel de Paris, pôle 5, ch. 1, 19 janvier 2021, RG n° 18/07991)
Dans un conflit opposant des membres du groupe « Gispy Kings » de musique flamenco, séparés depuis 2014, la Cour d’appel de Paris a rendu un arrêt dans lequel elle précise le régime de l’usage de la dénomination collective d’un groupe musical.
En l’espèce, deux des membres fondateurs du groupe reprochaient à d’autres membres leur usage du nom « Gispy Kings » pour désigner une formation musicale distincte.
Après avoir déclaré irrecevable leur première demande tendant à se voir attribuer l’usage exclusif de la dénomination, faute d’avoir mis en cause l’ensemble des membres historiques du groupe, la cour d’appel fait droit à leur seconde demande et prononce la perte du droit d’usage sur ladite dénomination par les ex-membres du groupe, défendeurs à l’instance, qui n’assuraient pas la continuité du projet artistique.La Cour d’appel de Paris rappelle ainsi que la dénomination collective de l’ensemble d’un groupe de musiciens est la propriété indivise des membres du groupe et que, en cas de séparation, à défaut d’accord entre les co-indivisaires sur l’usage du nom indivis par chacun dans la mesure compatible avec le droit des autres, l’exercice de ce droit indivis doit être déterminé par le juge au profit de celui ou ceux qui assurent la permanence du projet artistique.
Cette décision est également l’occasion pour la Cour d’appel de Paris de préciser le régime singulier de cette propriété indivise, en affirmant que la dénomination collective du groupe de musique est intransmissible et incessible et en même temps, que les membres qui assurent la continuité du projet artistique peuvent user de cette dénomination, le cas échéant en intégrant dans le groupe de nouveaux musiciens.