DROIT DU PRODUCTEUR DE BASE DE DONNÉES : Dans un arrêt du 2 février 2021, la cour d’appel de Paris juge que la « sous base » de données relative aux annonces immobilières présentes sur le site leboncoin.fr est protégée par le droit du producteur de bases de données, et que leur reprise partielle au sein du site entreparticuliers.com porte atteinte à ce droit. L’arrêt apporte des précisions utiles quant à l’accès à la protection des bases de données d’annonces et quant aux effets de cette protection (Paris, Pôle 5 chambre 1, 2 février 2021, n°17/17688, LBC France c/ entreparticuliers.com).

La cour d’appel juge d’abord que la sous base de données en ligne constituée des annonces immobilières disponibles sur le site leboncoin.fr est protégée par le droit du producteur de données, car elle est le fruit d’investissements substantiels relatifs à la collecte des données qui la composent, ainsi qu’à leur vérification et leur présentation (étant rappelé qu’un investissement substantiel dans un seul de ces champs suffit à admettre la protection).

La cour accueille, au titre de la collecte des données, les investissements de communication destinés à multiplier le nombre d’annonceurs utilisant le service du Bon Coin. On sait que dans ses arrêts du 9 novembre 2004 (aff. C-444/02, C-46/02 et C-388/02) proposant un véritable vademecum du droit du producteur de base de données, la Cour de Justice a notamment dit pour droit que seuls devaient être pris en compte, au titre des investissements relatifs à la constitution de la base de données, ceux relatifs à la collecte de données préexistantes, à l’exclusion de ceux relatifs à la création de données. Et l’on se souvient peut-être que la Cour de cassation (1ère Civ., 5 mars 2009, n°07-19.535), faisant selon nous une interprétation discutable de cette solution, a jugé qu’un site d’annonces en ligne ne pouvait bénéficier de la protection, car les annonces été créées par son opérateur. Dans l’affaire rapportée, la société entreparticuliers.com, défenderesse, ne manquait pas d’en tirer argument pour contester la protection revendiquée par Le Bon Coin. La cour d’appel écarte cette défense, car, selon elle comme les premiers juges, ce sont les utilisateurs du site leboncoin.fr qui créent les annonces, et non la société exploitante du site. Par suite, les investissements invoqués par cette dernière ont bien pour objet la collecte de données préexistantes, autrement dit la constitution de la base.

Au titre de la vérification des données, la cour relève que la société LBC France atteste d’investissements substantiels relatifs (i) à un outil logiciel visant à vérifier la conformité des annonces notamment à la réglementation applicable en matière de ventes immobilières et (ii) une équipe également dédiée à leur vérification.

Enfin, au titre de la présentation des données, sont retenus notamment les investissements relatifs à la définition, la maintenance et l’évolution des règles de catégorisation de la base, ainsi qu’au design et au fonctionnement par catégories du moteur de recherche. En effet, ces investissements permettent l’accès aux annonces individuellement selon de multiples critères de recherche et relèvent donc bien de la présentation de la base.

La cour d’appel juge ensuite qu’en reprenant sur son site les « éléments essentiels » des annonces issues du site leboncoin.fr, la défenderesse avait commis des actes d’extraction et de réutilisation d’une partie substantielle de la sous base de données d’annonces immobilières du Bon Coin.

En particulier, elle écarte l’argument en défense tiré du fait qu’un certain nombre d’annonces issues du Bon Coin et présentes sur entreparticuliers.com ne contenaient pas le numéro de téléphone du vendeur et renvoyaient l’internaute désireux de le consulter, via un lien hypertexte, vers l’annonce d’origine publiée sur leboncoin.fr. Selon la cour, ce renvoi n’est pas exclusif d’une extraction substantielle et donc d’une atteinte aux droits du producteur, dès lors que sont repris par ailleurs les critères essentiels des annonces (lieu, type de bien, prix et surface). Cette indexation, dit la cour, ne relève pas de la liberté de lier sur internet mais d’une extraction prohibée.

La Cour de justice de l’Union Européenne en avait déjà jugé ainsi dans son arrêt Innoweb (19 décembre 2013, aff. C-202-12), mais c’est la première fois, à notre connaissance, qu’une juridiction française juge en ce sens, assurant ainsi l’effectivité du droit du producteur de base de données face à des pillards prompts à s’abriter derrière une « liberté d’indexation » sur internet, qu’ils dévoient à l’évidence.

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